Sa Majesté des Oubliés : “Et nous, au bord du monde” de Nathalie Sauvagnac, paru en mai 2022 aux éditions du Masque.
Le pitch : Chassée de la demeure familiale, Nadine erre, incapable de trouver sa place. Jusqu’au jour où elle découvre Les Vignes. Une ancienne bâtisse à flanc de colline, défendue par une armée de chèvres et de merisiers. Un squat aux allures de paradis, le repaire de deux ours, Louis et Jean-Mi, aussi marginaux qu’elle. Sans demander et presque sans y penser, Nadine investit les lieux. Devient la troisième ourse. Là, à l’ombre des Vignes, elle trouve une existence simple, rustique. Et plus qu’un point de chute, un endroit où oublier et tenter de vivre. Mais quand le monde pénètre par effraction dans ce paradis perdu, les souvenirs reviennent, l’enfer commence.
Par la justesse de ses mots, Nathalie Sauvagnac réussit la prouesse de raconter la violence des hommes sans pour autant oublier la lumière des invisibles et des fracturés, ceux qui cherchent leur place, fût-elle au bord du monde.
“Je suis une crevarde, une narvali, une voyou, une voyelle et ça, j’y peux rien, même en me forçant, je ne suis pas autre chose que ça. À l’intérieur de moi il y a une bouteille de gaz prête à exploser, une grenade dégoupillée qui va bientôt éclater. Il n’y a pas de place pour moi dehors, il n’y a pas de place dehors pour ceux qui ne sont pas de la race des méchants, pour ceux qui sont des froussards, des trouillards, des bâtards. J’ai essayé de ne pas prendre de place, de me rouler en boule là où on voulait bien de moi. J’ai essayé, mais là, je n’ai plus de force pour ça, je suis trop bancale, trop minable. Je suis une vaut rien et je n’y peux rien. C’est comme ça, ce n’est pas grave non plus, chacun sa place, moi la mienne était ici. Maintenant ça va devenir trop compliqué de ne pas hurler ma peur de l’abandon, ma peur de ma peur, ma solitude, et toute cette culpabilité qui me grignote de l’intérieur. Bien trop compliqué.”
Je ne connaissais pas Nathalie Sauvagnac avant que les lives des Louves du Polar avec BePolar ne me conduisent à découvrir sa bibliographie, tout d’abord avec “Les yeux fumés“. Et là le choc. La claque. L’uppercut. Je ne savais pas qu’une telle plume existait. Après cet ouvrage, il me fallait donc en lire un autre pour transformer l’essai… C’est ainsi que je me suis plongée dans “Et nous, au bord du monde“…
Une fois encore, Nathalie Sauvagnac nous livre une histoire d’une rare empathie, brut, sincère et authentique. A son image, à l’image de ce qu’elle dégage.
Une fois encore, Nathalie Sauvagnac nous entraîne dans un monde en marge du monde. Mais pour l’occasion, elle quitte la cité au profit d’un squat rural, au cœur de la nature, comme une parenthèse dans cet univers de fous. Un paradis de récup, mais un paradis quand même. Il suffit parfois de peu pour atteindre le bonheur et, quand bien même il se fait éphémère, il est là quand même. C’est dans ce contexte qu’on rencontre Nadine.
Une fois encore, Nathalie Sauvagnac nous présente une égarée. Après Philippe, voici Nadine. Mais cette marginale toute en fragilités nous est contée à la première personne du singulier, ce qui donne encore plus de force, de puissance, d’intensité et d’émotions à ce récit. Telle une rose trémière en plein vent, elle cherche sa place mais existe-t-elle vraiment ? Elle veut se faire oublier de la société mais la société l’entend-elle ainsi ?
Une fois encore, Nathalie Sauvagnac nous déroute et nous étonne, détonne et nous touche de son écriture si juste, si vraie, lumineuse et sombre à la fois, bouleversante d’humanité. Rien que le titre est beau, éloquent. A son image, à l’image de ce qu’elle dégage.
En bref et une fois encore, Nathalie Sauvagnac frappe fort avec simplicité à travers ce saisissant roman noir qui marque durablement.