Difficile de chroniquer thriller si intense et actuel, si éloquent sur le cynisme de notre monde : “Un coin de ciel brûlait” de Laurent Guillaume, paru en juin dernier aux éditions Michel Lafon.
Le pitch : Sierra Leone, 1992. Dans ce pays en proie à la guerre civile, la vie du jeune Neal Yeboah bascule lorsque les rebelles ravagent la ville de Koidu et raflent cet écolier avide de connaissances pour en faire un de leurs plus redoutables enfants soldats.
Trente ans plus tard, la journaliste Tanya Rigal se retrouve interrogée par la police dès son arrivée en terre helvète : L’homme avec qui elle avait rendez-vous pour lui livrer des informations aussi confidentielles que compromettantes vient d’être froidement assassiné, un pic à glace dans l’oreille…
Deux histoires qui semblent n’avoir aucun rapport mais vont pourtant se rejoindre de la plus sanglante des manières…
Si je n’ai découvert sa plume qu’assez récemment – Je m’en souviens encore, c’était à l’occasion du Salon “Toulouse Polars du Sud” alors que venait de paraître “Là où vivent les loups” -, je me suis rattrapée depuis, et Laurent Guillaume n’a jamais cessé de me souffler comme le prouve encore ce titre si puissant tout comme sa couverture si évocatrice.
Sans prendre le temps ni la peine de nous ménager, l’auteur plante le décor au pic à glace pour mieux nous immerger au cœur d’une intrigue à deux temps aussi brutale que prenante, aussi poignante qu’instructive. Sans aucun doute fondé sur des faits d’une sinistre réalité qu’il était plus facile d’ignorer, Laurent Guillaume nous fait voyager sans passer par l’office du tourisme au profit d’un scénario nerveux mais surtout douloureusement crédible, démontrant qu’au-delà des intérêts politiques, ce sont souvent – toujours – les intérêts financiers qui mènent cette danse macabre.
Dans un monde où les diamants valent bien plus que des vies humaines, il devient dès lors atrocement aisé de “forger” des enfants soldats pour mener des combats aussi sauvages que gratuits… Mais même l’horreur a un prix que les plus cupides ont su trouver, ainsi qu’on va pouvoir le découvrir aux côtés de Neal comme de Tanya au fil de cette histoire menée tambour battant d’une plume fluide et percutante, d’un style nerveux et efficace dont je me dois absolument de vous livrer quelques extraits :
“A présent, le jeune homme était allongé sur le ventre sur deux tables d’écolier mises bout à bout dans le seul bâtiment en dur de toute la région, une école primaire bâtie dix ans plus tôt par une ONG suisse. Il y avait encore une banderole défraîchie qui clamait : “Eduquer, c’est croire à demain.” Mais demain avait déchanté. Plus aucun enfant n’apprenait ici. La guerre civile les avait renvoyés aux champs. Le soir, ils se terraient avec leurs parents dans leurs misérables cases de banco, espérant échapper aux rebelles, aux Kamajors, aux soldats des forces armées sierra-léonaises. A tout le monde en réalité.”
“Beaucoup avaient dû mourir depuis, les rebelles manquaient de tout – particulièrement de médicaments et de médecins -, mais pas d’armes. Ca, les diamants leur en fournissaient plus que nécessaire”.
“Ainsi on en est là, se dit-il, prêts à se massacrer entre nous pour quelques cailloux. La rébellion, toute cette merde n’est que l’excuse pour que certains puissent s’enrichir.”
“C’était impressionnant, dans l’obscurité on aurait dit qu’un coin du ciel brûlait”.
“- Nous ne pouvons pas tuer tous les gens qui représentent une gêne, Monsieur.
– Bien sûr que si, nous pouvons ! Pourquoi ne pourrions-nous pas ? Cette nation s’est même bâtie sur ce principe.”
En bref, un thriller géopolitique tout à la fois passionnant et révoltant, pourtant non dénué d’humanité mais à l’issue duquel on ne pourra plus dire qu’on ne savait pas.