A la veille du BiblioLive à l’occasion duquel j’aurai la chance et le plaisir de recevoir le talentueux Franck Thilliez afin de présenter “Syndrome E“, la série adaptée de son roman éponyme dont la diffusion démarre ce jeudi 29 septembre 2022 sur TF1, j’ai eu l’honneur et la joie de pouvoir interviewer trois des plus éminents membres de cette série évènement : La réalisatrice Laure de Butler, le scénariste et directeur artistique Mathieu Missoffe ainsi que la productrice Sophie Revil se sont ainsi prêtés au petit jeu de mes petites questions indiscrètes et je les en remercie très chaleureusement avant de vous laisser découvrir leurs réponses : Bonne lecture et belle découverte !
Connaissiez-vous l’œuvre de Franck Thilliez et notamment le roman “Syndrome E” avant de vous lancer dans la création de cette série ? L’avez-vous (re)lu pour l’occasion ?
Sophie Revil : J’avais déjà lu « Syndrome E » et j’adorais ce livre, mais quand j’ai su que les droits d’adaptation étaient de nouveau libres, j’ai (re)lu cinq livres d’un coup, parmi lesquels « Syndrome E », « Gataca » et « Atomka ». Lors d’un entretien avec Franck Thilliez et ses éditeurs, il fallait présenter son projet, expliquer pourquoi on voulait adapter ce roman et notre vision de la série. J’en ai parlé pendant deux heures et c’est moi qui l’ai emporté, sans doute parce que j’aimais énormément les livres, que j’ai su communiquer ma passion. En outre j’avais proposé d’adapter l’œuvre dans sa complexité, ce qui a plu.
Mathieu Missoffe : J’avais lu les deux premières enquêtes de Lucie Henebelle à leur sortie et j’avais entendu parler du personnage de Franck Sharko mais je n’avais pas vu à quel point Franck Thilliez avait encore poussé l’ambition de sa série de livres en faisant se rencontrer ses deux héros. Ensuite, quand la productrice Sophie Revil m’a proposé de travailler sur cette adaptation en 2018, j’ai bien évidemment lu et relu tous les livres pour bien comprendre ce qui faisait la spécificité des romans et de l’univers de Franck.
Laure de Butler : Je connaissais le nom de Franck Thilliez mais je n’avais jamais lu ses œuvres. J’ai lu « Syndrome E » pendant la phase de post-production de la série. Je me suis bien sûr interrogée sur le fait de le lire pendant la préparation mais je suis réalisatrice et la bible, pour moi, reste le scénario. Sachant que Mathieu Missoffe en avait fait une adaptation libre, en accord avec Franck, je me suis dit que mon travail consistait à plonger dans le scénario de Mathieu, je craignais de m’imprégner d’éléments du roman qui n’étaient plus présents ou modifiés dans le scénario. En revanche, nous avons énormément partagé avec Mathieu sur l’univers de Franck tout au long de la préparation du tournage, j’étais donc immergée malgré tout dans cet univers.
Pourquoi avoir choisi d’adapter “Syndrome E” plutôt qu’un autre des titres de Franck Thilliez, tel que “Train d’enfer pour ange rouge” ou “1991” ?
Sophie Revil : Moi ce qui me plaisait, c’était l’histoire d’amour, et c’est le premier livre, celui dans lequel Sharko et Henebelle se rencontrent. On retrouve cette histoire d’amour tel un fil , de livre en livre, ce que j’aime beaucoup, c’était vraiment ce qui m’intéressait.
Mathieu Missoffe : A titre personnel, je trouve que c’est un excellent point de départ car les deux héros s’équilibrent en se révélant l’un à l’autre, les intrigues deviennent plus complexes en nous faisant voyager dans le temps et dans l’espace… J’ai vraiment le sentiment d’un décollage dans les livres à partir de “Syndrome E“, avec une affirmation des thèmes qui font pour moi partie de l’ADN de cette partie de l’œuvre de Franck : la science et ses dangers, l’individu en résistance dans un monde de plus en plus opaque et complexe.
Outre du talent, il faut sans doute du courage et de l’audace pour s’attaquer à un tel monument de la littérature noire : Qu’est-ce qui vous a motivé pour vous lancer dans cet ambitieux projet ?
Sophie Revil : Outre le fait que j’adore son écriture, ses thématiques et sa profondeur, car il y a presque un côté philosophique ou existentiel dans les livres de Franck Thilliez, il y a aussi cette humanité car il aime ses personnages. Et il y avait ce réservoir de livres, ce qui est très rare. C’est ce qui m’a vraiment excitée dans ce projet, l’idée de pouvoir partir sur une série au long cours.
Mathieu Missoffe : Bien sûr le succès de “Syndrome E” et de ses suites est intimidant, et l’adaptation était un défi à plein d’égards : non seulement en écriture mais aussi en réalisation et en production. A mon avis, ce n’est pas un hasard si Paramount s’est déjà cassé les dents sur un essai d’adaptation du livre il y a des années. En même temps, un scénariste français n’a pas tous les jours l’occasion de travailler sur un projet d’une telle ampleur, donc c’était impossible de ne pas tenter ma chance : je trouvais l’intrigue vertigineuse et le couple Sharko/Henebelle très motivant, et la thématique scientifique trop peu traitée en fiction télévisuelle.
Une adaptation n’étant pas une simple transposition, vous avez nécessairement pris des libertés voire des distances avec l’intrigue originelle imaginée par Franck Thilliez. Comment s’élabore un tel travail, de telles “découpes” et “ajustements” ?
Mathieu Missoffe : Je me suis tout de suite situé dans le cadre d’une adaptation libre, car de nombreux éléments ne se prêtaient pas à une transposition visuelle directe à l’écran, comme la multiplication des déplacements géographiques, la violence de certains pans de l’histoire de Sharko et Henebelle, ou encore la somme très importante d’informations historiques et scientifiques que Franck aime disséminer dans ses intrigues.
Je me suis donc concentré sur ce qui, pour moi, est le cœur de l’histoire de “Syndrome E” : un couple de héros cabossés qui se trouvent dans le noir, une histoire sinueuse et jonchée de cadavres qui plonge dans les mystères du cerveau humain.
Un autre paramètre important est que démarrer avec “Syndrome E” impliquait des simplifications dans l’histoire personnelle des deux héros, car il était impossible en série de faire référence aux très nombreux rebondissements des livres précédents, ce que Franck peut se permettre sur quelques pages dans ses livres. Nos Sharko et Henebelle télévisuels sont des « cousins » de leurs modèles littéraires, ils partagent leurs doutes et leurs rages même si leurs parcours diffèrent.
Évidemment ces modifications et arbitrages sont aussi des « appropriations » faites avec ma sensibilité personnelle, mais je suis persuadé que cette adaptation est au service de l’œuvre de Franck, elle vient s’additionner à son univers et l’ouvrir à un nouveau public très large qui, j’espère, s’intéressera ensuite aux romans.
Dans quelle mesure Franck Thilliez a-t-il pris part à l’adaptation de son livre ?
Sophie Revil : Franck avait commencé à travailler sur l’adaptation, pendant à peu près deux ans, puis on a choisi ensemble son successeur, Mathieu Missoffe, afin qu’il puisse se consacrer à ses romans. Ensuite on a toujours tenu Franck au courant et les grandes décisions d’adaptation, on les a prises avec lui, la principale étant d’impliquer l’héroïne dans l’intrigue. Etant scénariste lui-même, Franck sait qu’il faut que les personnages soient directement concernés à la télévision. Il a toujours lu les synopsis, les scenarii dialogués et on a un tel respect pour lui et son œuvre que, si jamais il avait eu des doutes, s’il avait été mécontent ou s’il avait eu le sentiment qu’on le trahissait, on en aurait tenu compte. On était vraiment très heureux qu’il nous dise à quel point cela lui plaisait, qu’on avait complètement respecté l’esprit de son œuvre et de son univers.
Une bonne intrigue ne peut véritablement fonctionner que si elle est incarnée : Comment s’est opéré le choix des acteurs ?
Sophie Revil : C’est vraiment entre la réalisatrice, le directeur artistique (et scénariste) et moi-même, ainsi que la chaine. Nous sommes toute de suite partis avec de grandes ambitions pour le casting donc Vincent Elbaz, Kool Shen, Emmanuelle Béart. Par contre pour Lucie Henebelle, on avait fait passer des essais à plein d’actrices connues mais on n’avait pas trouvé une actrice qui avait à la fois la profondeur, la fébrilité, la sensibilité, le côté passionné de Lucie, donc je leur ai présenté Jennifer Decker qu’on avait déjà fait tourner dans « Les petits meurtres d’Agatha Christie ». Elle a passé des essais avec Vincent Elbaz et elle a été extraordinaire.
Laure de Butler : Jennifer Decker est apparue très vite comme une évidence, elle a à la fois cette délicatesse et cette puissance qui font de belles héroïnes. C’est une comédienne très précise et très habitée qui maîtrise totalement son art, il nous fallait absolument ce niveau de technique pour ne pas tomber dans le ridicule avec Lucie. D’autre part, elle n’avait jamais tourné de séries, ce qui a participé à l’excitation de voir de nouveaux visages ! Le reste du casting s’est bâti parfois sur des essais, où l’enjeu consiste souvent à trouver une harmonie entre les différents acteurs (former une brigade, une famille…) et parfois sur des propositions dites fermes, où j’ai écrit des lettres afin de proposer directement le rôle aux comédiens dont nous avions envie. Tout repose sur une vision du personnage, une énergie d’acteurs/actrices et beaucoup d’envie ! Cela me serait très difficile de travailler avec un(e) comédien(ne) qui ne m’excite pas !
Sauf erreur de ma part, la plupart des comédiens interprétant les différents rôles de cette série jouent plutôt à contre-courant de ce qu’on leur connaît habituellement : Etait-ce un choix délibéré ? Un défi supplémentaire à relever ?
Sophie Revil : C’est vrai et c’était intéressant. Par exemple on ne connaît pas du tout Vincent Elbaz comme ça avec ce personnage sombre, très tourmenté, on a plutôt l’image du comédien léger, un peu fou, de comédie. On voit rarement Emmanuelle Béart dans des rôles d’autorité tandis que Michèle Bernier joue souvent des femmes marrantes tandis qu’elle présente une face beaucoup plus noire ici.
Mathieu Missoffe : C’était un défi mais c’est aussi pour cela qu’il y a quelque chose de frais et de nouveau dans cette famille de comédiens, et j’espère que le public y sera sensible. C’était un vrai travail pour tous de rentrer dans un univers dont ils n’étaient pas forcément familiers, et c’est aussi grâce à la direction d’acteur de Laure de Butler si on y croit à l’écran.
Laure de Butler : Les comédiens sont des interprètes avant tout, au service d’une histoire. On projette beaucoup de choses sur eux et je suis assez fière de me dire que ce n’est pas forcément là qu’on les attendait. Je suis contre les cases, l’art est beaucoup plus vaste que cela.
Les acteurs ont-ils lu/dû lire ce livre avant d’endosser ces rôles ? Dans quelle mesure le roman a-t-il pu les inspirer à leur tour ?
Laure de Butler : Chacun a fait différemment, selon sa méthodologie de travail. Je sais par exemple que Vincent Elbaz a quasiment tout lu tandis que Jennifer Decker a préféré appeler Franck Thilliez pour lui poser des questions.
Sophie Revil : On avait plutôt conseillé de ne pas lire le livre puisqu’il y a plein de choses différentes, cela pouvait être perturbant. Finalement Vincent Elbaz a lu le livre et, du coup, cela l’a beaucoup influencé, inspiré pour son apparence physique et sa démarche notamment.
Mathieu Missoffe : Sur une série, je trouve que les personnages sont l’aspect du travail le plus partagé : il y a énormément à créer entre les lignes des scenarii, et les comédiens apportent la densité et l’humanité qui rendent vivant leur personnage. Je trouve que Vincent s’est réinventé de manière impressionnante pour incarner le mélange de force et de fragilité de Sharko au moment où il vacille, et Jennifer a réussi à trouver une Lucie juste et touchante alors qu’elle est projetée dans des circonstances à la limite du réel.
Au-delà de l’intrigue et de ses protagonistes, vous parvenez à retranscrire l’ambiance, l’atmosphère du roman, depuis le générique jusqu’à la musique en passant par l’image elle-même : Comment travaille-t-on de tels éléments moins “concrets” que les personnages ou les rebondissements ?
Mathieu Missoffe : C’est tout l’intérêt du travail en équipe avec la réalisation, la production et tous les postes de travail qui se succèdent dans la fabrication d’une série. On a énormément échangé avec Laure de Butler sur ce qu’on voulait pour cette série, à savoir des sensations fortes à tous les étages : la pesanteur du mystère qui se précise petit à petit, les éléments glaçants, les notes plus romantiques et même les soupapes d’humour plus pince-sans-rire… Ensuite Laure a réuni autour d’elle une équipe hyper talentueuse, avec entre autres Benjamin Louët à la photographie et Nathaniel Méchaly à la musique, et elle a réussi à créer cet univers et ces sensations au-delà de mes espérances.
Laure de Butler : C’est l’essence même de la réalisation ! Mettre en image et en son une narration faite de descriptions et de dialogues. Trouver une identité visuelle, travailler un rythme, plonger dans un univers…
L’axe visuel de la série se résume en une phrase « de l’infiniment petit à l’infiniment grand », l’histoire parle à la fois de petites cellules du cerveau et de grandes manipulations internationales, il fallait lier tout cela. Nous avons donc opté avec mon chef opérateur, Benjamin Louët, pour un format d’images en 2:39, plus large que la normale et des optiques très piquées pour une image précise. Dans le découpage j’ai travaillé le rythme par des plans parfois très serrés, qu’on appelle « macros » ou des plans très larges aux focales courtes. J’ai opté pour des décors avec de grandes lignes et des profondeurs de champs importantes, comme un chemin que l’on parcourt, un labyrinthe de mystères. Avec le compositeur, Nathaniel Méchaly, nous avons travaillé différentes thématiques selon les personnages, on avait envie de mystère, de tension mais aussi de romanesque, assumer l’ampleur folle de cette histoire ! J’avais aussi envie d’en faire un conte, d’inviter le spectateur à plonger dans la fiction et l’histoire incroyable qu’il allait vivre !
Pourquoi avoir précisément choisi d’adapter ce roman en une série de six épisodes ?
Mathieu Missoffe : C’est le format préféré des diffuseurs français en ce moment, et il fallait bien ça pour un roman aussi dense. Un film de deux heures aurait été bien trop peu, et même avec six épisodes j’ai préféré couper – à regret – de gros pans de l’histoire pour avoir de l’espace sur d’autres. C’est notamment vrai pour l’adversaire de Sharko et Lucie, qui n’apparait que dans les dernières pages du roman pour un très court moment, ce que je trouvais un peu dommage.
Sophie Revil : Il faut toujours que cela soit un nombre pair car les chaînes diffusent les épisodes deux par deux. Cela n’aurait pas tenu plus que six épisodes car il n’y avait pas assez de matière. Pour une série, il faut que cela rebondisse tout le temps. Quatre épisodes n’étaient pas suffisants mais six, c’était le bon chiffre. Et une série permet une écriture beaucoup plus moderne où l’on raconte des choses en parallèle, il y a du suspense d’un épisode à l’autre, ce n’est pas du tout la même écriture pour un film.
A l’aube de sa diffusion sur TF1, comment appréhendez-vous l’accueil de cette série par les téléspectateurs et plus encore par les lecteurs ?
Mathieu Missoffe : Je sais que les lecteurs qui s’attendent à une adaptation « littérale » risquent d’être un peu déstabilisés, mais je sais aussi qu’une adaptation à la lettre est un pari toujours perdant, car aucune adaptation audiovisuelle n’est jamais à la hauteur des images que nos livres préférés créent dans nos têtes. A mon avis il faut aborder cette adaptation avec l’esprit ouvert et se laisser prendre par l’intrigue remaniée, et pourquoi pas se prêter au « jeu des sept différences » si on a lu le livre. Pour ceux qui ne l’ont pas lu, j’espère qu’ils seront sensibles au cocktail d’émotions proposé, et qu’ils ressentiront la même envie de savoir la suite que les lecteurs de Franck Thilliez connaissent bien.
Laure de Butler : J’ai hâte ! Je suis évidemment très curieuse de l’accueil qui lui sera réservée, c’est toujours un moment très étrange où nous ne maitrisons plus rien, le relais se fait. J’espère évidemment qu’elle séduira, intriguera le plus grand nombre ! Quant aux lecteurs de Franck Thilliez, j’espère qu’ils comprendront les enjeux d’une adaptation. Mathieu Missoffe a fait un travail dantesque de grande qualité et, croyez-moi, ce n’est vraiment pas une chose aisée ! Il a toujours travaillé en accord avec Franck et dans le plus grand respect de son univers… Il parait qu’une bonne adaptation consiste à reconnaitre l’univers de l’auteur mais aussi à se laisser surprendre par l’histoire, une sorte de sentiment familier un peu nouveau…
Sophie Revil : La meilleure défense, c’est encore Franck Thilliez qui la donne quand il dit qu’il se retrouve dans la série. Répéter exactement un livre n’a pas d’intérêt, ce qui a de l’intérêt, c’est de réinterpréter, que ce soit une autre œuvre.
Franck Sharko et Lucie Hennebelle ont connu bien d’autres aventures sous la plume de Franck Thilliez : Envisagez-vous d’en faire de même ?
Sophie Revil : Nous avons pris une décision avec l’accord de Franck Thilliez, c’est de faire de la deuxième saison “Atomka“. “Syndrome E” et “Gataca” représentent un dyptique, nous avions peur de nous répéter, aussi le thème de la vie éternelle et la cryogénisation nous paraissait plus fort pour une saison 2. La saison 2 s’appellera donc “Atomka” et sera une adaptation du roman éponyme. Mais il n’y aura de saison 2 que si la saison 1 fonctionne le 29 septembre…
Un immense merci à Laure de Butler, Mathieu Missoffe et Sophie Revil pour m’avoir consacré ces précieux instants me permettant de réaliser cette formidable interview croisée ! Rendez-vous est pris désormais ce jeudi 29 septembre dès 21h10 sur TF1 pour découvrir la série “Syndrome E” et ses héros incarnés notamment par Vincent Elbaz et Jennifer Decker !