Chronique d’un coup de cœur inattendu : “Rue de la Gaîté” d’Axel Auriant, paru le 15 janvier 2025 aux éditions Fayard.
Le pitch : Apprenti comédien au Cours Florent le jour, ouvreur au Théâtre Montparnasse le soir, Baptiste a sauté à pieds joints dans sa passion pour le théâtre. Il se lie à Marvin, un camarade au culot sans limite, se heurte à Sophie, qui semble ouvreuse de théâtre depuis 1789, et rencontre même son idole, Marcel André, monstre sacré de la scène, qui compte tant de Molières qu’il pourrait en faire les pieds de sa table basse…
Se dévoilant sur scène pour mieux se découvrir en coulisses, Baptiste vit un rêve éveillé.
Mais les projecteurs éclairent parfois ce qu’on préfère laisser dans l’ombre. Baptiste comprend vite que l’enjeu n’est pas seulement d’apprendre des techniques d’acteur, le sens du placement ou de la diction. Pour beaucoup, le théâtre est un remède. Mais un remède à quoi ?
Mes petits Bookinautes adorés, c’est un heureux hasard qui m’a valu la lecture de cet ouvrage. En effet, je l’ai reçu par erreur en septembre dernier, à la place du dernier titre d’Antoine Rault, alors que je préparais mes tables rondes en vue du salon des “Livres dans la Boucle” de Besançon. Un premier roman dont j’ignorais tout, jusqu’à son auteur que je ne connais même pas alors qu’il jouit pourtant d’une certaine notoriété. Qu’à cela ne tienne, j’ai mis le temps mais ma curiosité était piquée, je n’ai donc pas résisté à m’inviter “Rue de la Gaîté“. Et le coup de cœur n’a pas traîné. Parce qu’à travers ces pages, j’ai rencontré un passionné. Et entre passionnés, on se reconnaît, à n’en point douter.
Peut-être s’agit-il là d’une autofiction, mais qu’importe. Là n’est pas l’enjeu ni l’intérêt. Nous voici infiltré dans le quotidien de Baptiste, un jeune homme trop discret pour exister, aspirant théâtreux, apprenti comédien aux Cours Florent et ouvreur à l’essai au Théâtre Montparnasse. Il a la réplique dans le sang et la scène dans l’âme. Il n’aime pas le théâtre, non : Il vit le théâtre. Il est le théâtre.
C’est à travers ce doux rêveur abîmé par le passé qu’on (re)découvre le sixième art, son univers et ses coulisses, son apprentissage et ses leçons, son vocabulaire et ses usages, son rideau et ses planches. De l’orchestre aux cintres en passant par le paradis, tout nous est ici conté, décrit. L’immersion est belle, envoûtante et authentique, sincère et complice. Car tout n’y est pas reluisant mais rien n’est trahi. C’est exalté et exaltant.
Mais l’histoire ne serait pas si émouvante s’il n’y avait pas Baptiste. Son père. “Elle”. Marvin. Chloé. Colette. Et Marcel André. Autant de personnages qui font honneur au théâtre, rendent hommage à ses étoiles, chantent les louanges de la transmission. Et c’est ainsi qu’on assiste à l’éclosion de Baptiste, à sa métamorphose d’ombre en homme, de figurant en artiste, au gré de ce roman d’apprentissage résolument touchant, dont on sort à regret, dont on se souvient longtemps.
Car au delà de cette intrigue et de son premier rôle, il est une écriture qui ne peut laisser indifférent. Une plume chatoyante et sensible, éloquente et hypnotique, intense et poétique. J’ai noté une multitude de citations, ce qui n’est pas dans mes habitudes, surtout pour un court roman. Il me fallait les partager avec vous comme l’auteur a su les partager avec moi, vous les trouverez donc à la fin de ma chronique. Ce texte est vivant, il respire la vie, la lumière, l’amour et l’affirmation de soi, tant au monde qu’à soi-même.
En bref, je remercie vivement les éditions Fayard pour ce cafouillage postal et Axel Auriant de s’être ainsi essayé à une prose remarquable, m’offrant ainsi une captivante parenthèse littéraire qui m’a permis un instant d’échapper à notre réalité pour mieux intégrer celle de Baptiste.
“On a tous une bonne raison de faire des mauvais choix.”
“Ce fantasme avait perduré jusqu’en primaire, quand Léo m’avait un jour juré qu’à Londres, eux aussi payaient en livres. Le lendemain, en essayant de payer avec un livre à l’épicerie, j’ai vite compris. Les rêves valent bien plus cher.”
“Je suis heureux. Juste ça, et c’est déjà beaucoup.”
“Je me sens pousser des ailes. J’ai l’impression que tous mes sentiments se décuplent. D’être enfin disponible à moi-même. D’avoir accès à toutes les émotions retenues jusqu’alors.”
“Je réalise que nous sommes tous prisonniers des histoires que nous n’osons jamais raconter. Dans l’obscurité d’une salle, les angoisses de mes nuits sont venues orner le jour.”
“Au cinéma, le montage pourra toujours donner le change. Mais au théâtre, le présent est trop beau pour ne pas être partagé.”
“Voilà exactement comment je me sens. Fatigué de courir à la recherche de moi-même. Vidé par la sensation de ne l’être jamais complètement. Usé de chercher l’amour, sans savoir vraiment quoi chercher. J’ai toujours l’impression d’être au bord d’un précipice, et qu’un instant fugace de bonheur ne serait que le retard d’une crise à venir.”
“Je m’endors, là où le réel n’est qu’un songe en chemin. Après tout, les plus belles questions sont peut-être celles qu’on laisse sans réponse.”
“J’ai du mal à faire confiance. Quand “elle” changeait de visage, je montais les coudes pour protéger le mien. “Elle” me promettait qu’elle ne me frapperait pas. Comme un boxeur amnésique, je baissais la garde, avant d’être surpris par ses mains quelques minutes plus tard. Depuis, je suis persuadé que chaque personne qui m’aime me fera souffrir.”
“D’un petit reste de rien, il ferait des bouts de tout.”
“Faut-il rencontrer la mort de près pour mieux aimer la vie ?”
“Le silence, c’est la pensée en chemin.”
“Deux aimants sèment en s’aimant.”
“- Vous avez raison, il faut croire en ses rêves.
– Non, il faut mettre des coups de pied dans les portes pour les laisser entrer.
Pendant ces heures heureuses se dérobe le temps condamné à l’oubli.”
“Sur scène, j’ose enfin conquérir la liberté de me rencontrer. La passion comme lumière au chaos.”