Chroniques 2017 Le courage qu’il faut aux rivières d’Emmanuelle Favier

Un premier roman époustouflant, d’une rare intensité : “Le courage qu’il faut aux rivières” d’Emmanuelle Favier, publié le 23 août 2017 aux éditions Albin Michel.
 
Le pitch : Dans un petit village entouré de brume en plein de coeur des Balkans vit Manushe, 45 ans. Son adolescence l’a conduite à devenir une vierge jurée, parce qu’elle a préféré prêter le serment de rester vierge à jamais pour éviter d’épouser le vieux Parush. Renoncer à sa féminité pour obtenir la liberté et les droits réservés aux hommes. Elle est aujourd’hui respectée tandis qu’elle se vêt en homme, nie ses formes et se rase les cheveux, et coule des jours tranquilles dans ce petit village au quotidien très ritualisé. Mais c’est sans compter l’arrivée du charismatique et énigmatique Adrian. Tel un vagabond surgi de nulle part et nimbé de mystères, celui-ci va semer le trouble dans le coeur, le corps et la tête de Manushe en réveillant sa part de féminité…
 
Qu’il m’est difficile de vous parler de ce roman majestueux sans trop vous en dévoiler quant à l’intrigue que je tiens absolument à vous préserver… Parce qu’il me plaît de découvrir de nouvelles plumes à l’occasion de la rentrée littéraire, je profite allègrement de mes congés pour passer à l’action en jetant mon dévolu sur celui-ci qui a su capter mon attention rien qu’à sa magnifique couverture et son titre nébuleux…
 
Puisant son inspiration dans la tradition des vierges jurées (qui, d’après mes petites recherches et leurs maigres résultats, se pratique toujours en Albanie…), l’auteure nous plante tout d’abord un décor à couper le souffle, presque irréel ou plutôt hors du temps, en nous emmenant au coeur de ce village perdu dans la brume en plein milieu d’une nature hostile. Puis la brume se lève et nous dévoile peu à peu le village oui, mais aussi ses personnages, ses traditions, ses mystères. Sans savoir où ce curieux chemin va bien pouvoir le mener, le lecteur se laisse convaincre et le suit sans rechigner, presque hypnotisé par la force poétique, philosophique et métaphorique de ce roman, et ce en total contraste avec le tempérament authentique, rustre et violent des personnages…
Des personnages qui, justement, sont richement étoffés, d’une densité impressionnante, et constituent tout l’intérêt, toute la force de ce roman poignant puisqu’on va plutôt s’attarder sur nos deux personnages principaux, en commençant par l’admirable et courageuse Manushe qui a préféré s’oublier, refuser d’être une femme au profit de la “liberté”, avant de s’intéresser au mystérieux Adrian, son visage pâle et ses cheveux d’ébène, ses tourments, ses secrets. Tels les deux versants d’une montagne, ces deux êtres se rapprochent et se dévoilent au fur et à mesure que les chapitres défilent pour nous présenter deux destins, deux histoires qui se répondent et s’apportent un éclairage mutuel.
Mais la beauté du texte doit beaucoup à la plume de l’auteure, empreinte de poésie, de finesse, de délicatesse, son style pur, fluide, efficace, son vocabulaire riche, puissant, métaphorique, à l’instar de ces rivières évoquées dans le titre et qu’on peut rapprocher de nos personnages, à la fois libres comme l’eau qui coule, mais prisonniers du parcours à suivre de leur lit à la jetée dans la mer…
 
En bref, un superbe roman aussi poignant que captivant, dont on ressort bluffé…

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