Chroniques 2017 Cox ou la course du temps de Christoph Ransmayr

Un roman magistral : “Cox ou la course du temps” de Christoph Ransmayr, aux éditions Albin Michel le 23.08.
 
Le pitch : Tandis qu’il tente de se remettre de la mort de sa fille Abigaïl, disparue à l’âge de cinq ans, Alistair Cox, un anglais considéré comme étant le plus grand horloger du monde, est invité par le terrible Empereur Qianlong dans cette Chine du XVIIIème siècle encore méconnue, afin d’y réaliser toute une série d’horloges susceptibles de mesurer les variations du temps, de le mesurer non comme il passe mais comme il est ressenti, avant de réaliser l’horloge éternelle…
 
C’est en tant qu’Exploratrice de la Rentrée Littéraire pour le site Lecteurs.com que l’opportunité me fut offerte de découvrir ce roman en avant première, un roman dont je tiens en préambule à saluer l’admirable traduction de Bernard Kreiss qui a su retranscrire toute la poésie et la signification des termes employés par l’auteur.
 
Ne croyez pas à un mauvais jeu de mots si je vous dis qu’il m’a fallu du temps pour ingérer et digérer cet impressionnant roman qui nous propose un véritable voyage dans le temps pour évoquer la course du temps. C’est un roman prenant mais aussi exigeant, qu’il faut prendre le temps de lire pour en mesurer toute l’étendue du propos.
Car il me reste difficile de vous parler de cette lecture dont je reste soufflée. Fort d’une plume d’une incroyable poésie, l’auteur nous entraîne ainsi dans différents voyages au travers d’un seul écrit. 
Parce qu’il nous transporte d’abord loin de nos terres et loin de notre époque, l’auteur nous fait découvrir la Chine du XVIIIème siècle, un pays fascinant autant qu’il est inquiétant. La notion de danger nous prend à la gorge d’emblée puisqu’il ouvre sur une scène de tortures infligées à des autochtones pour on ne sait quel motif, incitant notre horloger à prendre toutes les précautions pour ne pas défier ce terrible Empereur dont il faut craindre le courroux.
Parce qu’il nous invite aussi à une sorte de voyage initiatique, un voyage en quête de reconstruction pour cet inconsolable anglais qui n’a plus touché une horloge depuis la mort de sa fille à seulement cinq ans. Lui qui pourrait se targuer de jouer avec le temps n’a su en triompher pour sauver sa fille d’une irrémédiable fin, et refuse ainsi ce deuil qui lui étreint le coeur et lui a ravi sa jeune épouse, murée depuis dans un mutisme protecteur et restée dans son pays d’origine.
Parce qu’il nous offre enfin mais avant tout un voyage presque philosophique et poétique au coeur même du temps, tel qu’il s’envisage, tel qu’il défile et nous glisse entre les doigts, inéluctablement, une réflexion sur notre rapport au temps et notre volonté de vouloir le retenir ou le prolonger. Seulement par quoi peut bien se distinguer une horloge d’une autre ? “Par le regard de celui qui la contemple, par le regard de celui qui cherche à y lire son temps, le temps qui lui reste à vivre”, dixit Cox au travers de ces pages.
Car c’est bel et bien la mesure du temps qui animent nos deux personnages principaux : Bien évidemment l’Empereur, un Dieu vivant qu’on ne voit pratiquement jamais mais dont on parle tout le temps, considéré lui-même comme immortel et seul Maître du Temps ; mais aussi Alistair Cox, le célèbre horloger qui s’échine à exaucer tous les vœux même les plus fous de l’Empereur, au risque même de s’exposer à une mort certaine en “défiant” inconsciemment ce dernier s’il parvient à réaliser l’horloge ultime, l’horloge éternelle pourtant sollicitée, devenant dès lors l’égal de l’Empereur en étant lui-même le Maître du Temps…
Et en incontestable Maître des Mots, l’auteur quant à lui prend le temps d’accorder au temps les mots qu’il faut pour en faire l’éloge tandis qu’il nous en met plein les yeux au travers d’époustouflantes descriptions. Le texte est à la fois beau et brutal, poétique et cruel, doux et terrible, tendre et violent. C’est à ce point hypnotique que j’en suis restée scotchée de la première à la dernière page sans pouvoir le lâcher avant de prendre conscience de toute sa dimension. 
 
En bref, c’est un roman peu banal que voici, mais un roman imposant et sensationnel, à la hauteur du délicat sujet qu’il traite : le temps qui passe.

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