Mes petits Bookinautes chéris : Après quatre BiblioLives en compagnie de douze auteurs et ma libraire préférée, il me fallait encore vous parler de deux auteurs dont j’affectionne particulièrement la plume et que je savais retrouver aux Quais du Polar en compagnie de leur dernière parution aux éditions Pocket, deux romans pour lesquels j’ai eu un immense coup de coeur… Oui je sais mes Bookinautes adorés, je ne m’arrête jamais mais je ne suis pas peu fière de laisser la parole à Sandrine Destombes et Olivier Norek qui ont eu l’extrême gentillesse de répondre à mes petites questions indiscrètes en dépit d’un emploi du temps particulièrement chargé afin de vous présenter “Le dernier procès de Victor Melki” et “Dans les brumes de Capelans“… Bonne lecture et belle découverte !
Quelle autrice es-tu ? Peux-tu te présenter en quelques mots ?
C’est toujours un exercice compliqué mais je vais essayer de m’y plier du mieux possible. Après des études de réalisation audiovisuelle, j’ai été quelques temps monteuse pour la télévision avant de me lancer dans la production d’événements, métier que j’exerce encore actuellement. Depuis maintenant une dizaine d’années, j’écris des romans noirs, en parallèle de cela. Cette année sortira mon neuvième ouvrage, « Les disparus de la Durance ». Je ne suis pas une fan des étiquettes mais si je devais m’en coller une, je dirais que mon domaine de prédilection est le suspense dans un style assez rythmé et visuel, peut-être dû à ma formation initiale.
Quel auteur es-tu ? Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Olivier Norek, j’ai 47 ans, je suis un ancien flic et un ancien missionnaire humanitaire. Je suis un auteur de terrain comme j’étais un flic de terrain : J’ai besoin de vivre les choses pour pouvoir les raconter au mieux donc je suis d’abord acteur des sujets dans lesquels je me plonge et, une fois que je les ai bien compris, vécus (ou du moins j’ai essayé de les vivre au maximum), j’en deviens le conteur, le narrateur. Je suis un auteur qui raconte des histoires vécues.
Après lui avoir donné congé pour trois quatre romans, tu as choisi de faire revenir Maxime Tellier : Pourquoi maintenant ?
J’ai l’habitude de me nourrir de tout ce qui m’entoure pendant plusieurs mois avant de me lancer dans la création d’un nouveau roman. Ces dernières années, je me réjouissais de m’entourer de nouveaux personnages. Je savais qu’ils allaient m’accompagner jour et nuit durant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, et que certains deviendraient même des amis. Maxime l’avait fait à mes débuts mais j’avais fini par ressentir le besoin de la quitter pour mieux évoluer. Et puis est arrivée l’année 2020 et son confinement. Le monde s’est tout à coup mis en suspens et je n’avais plus rien ni personne à observer, et donc plus rien de quoi m’inspirer. Max a profité de cette parenthèse imposée pour refaire surface. Elle s’est induite dans mes pensées, au début discrètement puis de manière plus insistante. Elle m’a fait comprendre qu’elle avait encore des choses à vivre… (oui, j’avoue, les personnages me parlent, n’en déplaise aux psys !)
Après lui avoir donné congés pour trois romans, tu as choisi de faire revenir Victor Coste : Pourquoi maintenant ?
En fait je ne savais pas quand allait revenir le Capitaine Coste, je savais juste que je ne l’avais pas tué à dessein, que j’avais laissé une porte ouverte après la trilogie. Il y a des auteurs qui décident d’en dire le moins possible sur leurs personnages et peuvent dès lors les utiliser à l’infini, c’est le cas de Columbo ou de Maigret. Et d’autres qui décident de faire entrer les lecteurs dans la vie de leur personnage, alors ils ont une capacité narrative limitée. Victor Coste est un personnage assez riche mais qui a donc ses propres limites, ses propres frontières, je ne peux pas lui faire faire ou dire tout et n’importe quoi car, d’une certaine façon, il existe. J’avais l’impression de lui avoir fait faire ou dire tout ce que je voulais sur le 93 et Paris donc je l’ai mis de côté, à charge pour lui de me taper sur l’épaule un jour où, quand je trouve une idée, il se sent apte à résoudre l’enquête. Apte humainement, parce que cette enquête lui ressemble.
Si Maxime revient, c’est dans un contexte tout à fait différent puisqu’elle s’est mise en disponibilité. En quoi était-ce nécessaire pour mieux la retrouver ?
Je voulais qu’elle me surprenne. Qu’elle me dévoile d’autres facettes de son caractère. Sans ses coéquipiers et donc sans artifice. Je la voulais livrée à elle-même.
Si Victor revient, c’est dans un contexte tout à fait différent puisqu’il est peseur d’âme pour le Service de protection des témoins et des repentis à Saint Pierre et Miquelon. En quoi était-ce nécessaire pour mieux le retrouver ?
Le Capitaine Coste et moi-même avons démissionné de la police à peu près en même temps, donc j’ai voulu le faire revenir “neuf”. C’était nécessaire parce que je voulais lui faire raconter une autre vie et, comme il naît à nouveau, je trouvais intéressant de travailler sur les identités. C’est bien ce qu’on propose au Programme de protection des témoins et des repentis. Lui offrir une nouvelle vie, c’était aussi le faire bouger géographiquement, ainsi il n’est plus à Paris mais à 5000 kilomètres de là. Il fallait aussi changer son état d’esprit qui est celui d’un ours qui n’a plus envie de se faire approcher, raison pour laquelle il choisit de travailler avec des repentis, autrement dit des anciens criminels pour lesquels il n’a aucune estime. C’est justement l’intérêt de lui glisser une victime plutôt qu’un repenti entre les pattes, donc de mettre du brouillard dans sa tête à l’image des brumes qui s’abattent sur cette île.
Un personnage de fiction abîmé qui, en évoluant au fil des livres, n’a jamais semblé aussi proche de toi que dans ce roman : En avais-tu seulement conscience ?
Pas vraiment mais il est vrai que j’ai ressenti pour elle une sorte de tendresse que je n’avais pas forcément laissé exprimer avant. Peut-être est-ce pour toutes les raisons évoquées précédemment…
Un personnage de fiction abîmé qui, en évoluant au fil des livres, n’a jamais semblé aussi proche de toi que dans ce roman : En avais-tu seulement conscience ?
Il était impossible d’écrire gratuitement la quatrième aventure de Coste. Cette quatrième aventure va au plus profond du personnage. Je l’ai détruit professionnellement dans les trois premiers épisodes donc je voulais voir ce qui restait d’humain en lui et, pour ça, il a fallu que je retrouve la représentation même de l’humanité : une victime. Et comme je suis un très mauvais inventeur, je me suis mis à nu justement pour que ces deux personnages que sont Coste et Anna – qui sont probablement deux facettes de qui je suis – se mettent eux aussi à nu. Les sentiments qu’expérimentent Coste sont des sentiments que j’ai déjà partagés donc la mise à nu de ce Capitaine est aussi la mise à nu de son créateur.
Un contexte différent pour une enquête différente puisqu’elle se fera à l’aveugle : Comment t’est venue une telle idée ?
Je voulais me libérer des contraintes police-justice, comme je l’avais fait avec « Madame B. », mais avec Max comme personnage central, je ne pouvais pas aller aussi loin. Alors j’ai fait un compromis. Une enquête telle que la flic savait en mener mais avec d’autres armes et avec pour seul moteur son instinct.
Un contexte différent pour une enquête différente puisqu’elle se fera à l’aveugle : Comment t’est venue une telle idée ?
Je voulais faire une enquête sur une île prise par le brouillard, celui des brumes de Capelans, un phénomène climatique qui s’abat sur l’île pendant trois semaines chaque année, un nuage qui fait exactement la taille de cette île comme s’il avait un secret à cacher. Dès qu’on n’y voit rien, je me retrouve à l’aveugle. Et littérairement c’est hyper intéressant car la littérature décrit les choses, les émotions, les personnages, les lieux, les décors. Quand tout cela disparaît, la seule chose qui reste, c’est l’introspection. Dans ce roman, il n’y a pas de course poursuite, d’explosion, de cascade. Juste la violence des humanités qui vont s’entrechoquer. Et c’est quand même plus facile de décrire des scènes d’action que des éléments psychologiques. C’est donc un rendez-vous avec ma littérature aussi, c’est un challenge et moi j’aime bien les challenges.
Une intrigue sombre et poignante, dans laquelle les notions de victime et de bourreau ont toute leur importance : Pour quelles raisons as-tu choisi de les aborder ?
La justice est un thème qui revient souvent dans mes romans parce qu’il me questionne au quotidien. La justice peut-elle être juste ? Peut-elle réellement apporter réparation ? S’il m’arrivait une terrible épreuve, si l’on venait à tuer un des miens, y aurait-il ne serait-ce qu’un seul verdict qui pourrait me satisfaire ? L’envie de me venger ne serait-elle pas plus forte ? J’ai toujours pensé que la justice était sociétale et la vengeance personnelle. La justice d’État est là pour que les crimes commis ne puissent se reproduire. Mais est-ce suffisant quand on est soi-même la victime ?
Une intrigue sombre et poignante, dans laquelle les notions de victime et de bourreau ont toute leur importance : Pour quelles raisons as-tu choisi de les aborder ?
Parce que les victimes d’aujourd’hui sont souvent les bourreaux d’hier et que les bourreaux d’aujourd’hui sont aussi les victimes d’hier. On peut être courageux et lâche, amoureux et distant, accueillant et guerrier. On peut être tout ça à un moment donné dans sa vie. Un héros peut devenir un salaud et un salaud peut être un héros, tout est changeant et c’était intéressant de réussir à mettre tout cela dans ces personnalités.
Dans ce récit, l’accent est mis sur la psychologie, ce qui le rend d’autant plus vecteur d’émotions : était-ce là l’un de tes objectifs ?
Je ne parlerais pas d’objectifs mais de besoin. Quand un sujet me questionne, j’ai besoin d’entendre toutes les voix pour saisir les différents points de vue. Et pour cela, je suis bien obligée d’imaginer les ressentis de chacun. C’est là qu’entre en jeu la psychologie.
Dans ce récit, l’accent est mis sur la psychologie, ce qui le rend d’autant plus vecteur d’émotions : Etait-ce là l’un de tes objectifs ?
Oui évidemment. Parce qu’après avoir fait de l’action dans la Trilogie 93, j’ai réalisé que ce qu’il restait aux lecteurs comme à moi, c’était uniquement les émotions. Tu peux écrire la plus incroyable des histoires avec le plus incroyable final, si tu n’as pas un véhicule empathique, c’est à dire un personnage pour la traverser et t’accompagner, l’histoire n’existe pas. Tu peux dire dès la première page que tu décapites Aurélie, mais si personne ne la connaît, tout le monde s’en fout. Mais si tu commences à expliquer qui est Aurélie, ses projets, ses envies, les raisons pour lesquelles son cœur bat, si tu lui ôtes la vie, tu ôtes la vie d’un personnage qu’on connaît et cela a beaucoup plu de force. Cela se justifie aussi par le Programme de protection des témoins et des repentis puisqu’on change d’identité. Et ce concept des brumes qui atténuent tout, englobe aussi les personnages et leur personnalité. C’est comme si je poussais chacun à son point de rupture pour savoir qui ils sont vraiment. Car aucun des personnages que je vous présente ne sera le même à la fin.
“Les monstres existent vraiment, les fantômes aussi. Ils vivent en nous, et parfois ils gagnent.” Que t’inspire cette citation de Stephen King ?
Qu’on ne pourrait être plus juste ! Nous faisons vivre en nous nos morts, nous nourrissons nos peurs, nous cultivons parfois notre culpabilité… Tous ces éléments peuvent nous faire grandir comme nous paralyser.
« Les monstres existent vraiment, les fantômes aussi. Ils vivent en nous, et parfois ils gagnent. » Que t’inspire cette citation de Stephen King ?
On naît animal. Et il n’y a rien de plus violent qu’une cour de récré avec des élèves de maternelle. Si ces gamins pesaient 80 kilos et faisaient deux mètres, ce serait une vraie boucherie. Car on apprend à vivre en société, à être des citoyens. Pour cela nous sommes soumis à un conflit intérieur constant contre notre propre nature. Le monstre n’est pas non plus quelque chose qu’il faut renier. Le monstre c’est aussi celui qui va, dans les situations d’urgence ou d’extrême danger, nous sauver la vie, on va alors redevenir animal. Mais ce monstre-là, en société, il faut constamment se battre contre lui.
Il semblerait que tu aies prévu de faire revenir Maxime Tellier pour de prochaines aventures… Mais quand ? Quels sont tes projets littéraires à venir ?
Mon prochain livre, « Les disparus de la Durance », sortira le 3 mai en librairie mais Max ne fera pas partie de l’aventure. Il s’agira d’une toute nouvelle équipe d’enquêteurs qui, je l’espère, vous séduira tout autant qu’elle m’a séduite. Il y sera question de pieds repêchés et de vieilles histoires, pas toutes classées. Je pourrais en dire plus mais je vous l’ai dit, j’aime le suspense. Quant à Max, elle reviendra un jour mais elle seule sait quand pour l’instant.
Il semblerait que tu aies prévu de faire revenir Victor Coste pour de prochaines aventures… Mais quand ? Quels sont tes projets littéraires à venir ?
Du polar, j’en ai, je peux vous en donner, mais de temps en temps j’ai besoin d’aller voir ailleurs, d’aller écrire ailleurs. J’ai besoin de grandir, j’ai besoin de vivre. Donc mon prochain roman sera un roman historique qui se passe en Finlande, par -50°C en 1939. Et par avance je veux déjà remercier les lecteurs qui me feront confiance et vont se plonger dans un roman historique alors que ce n’est pas leur came. Et je les rassure en leur disant que Coste va revenir, j’ai encore au moins une histoire à lui faire vivre parce que j’ai un sujet qui m’intéresse énormément et que personne ne traite, mais pas tout de suite car je ne veux pas rester enfermé avec lui pour éviter de me lasser. Je veux pouvoir raconter d’autres histoires et m’amuser avant de refaire un bon vieux polar parce que j’aime ça.
Je remercie très chaleureusement Sandrine Destombes et Olivier Norek qui ont pris de leur temps pour se soumettre à ce petit exercice littéraire ! Si vous n’avez pas encore lu ces deux romans… Vous savez à présent ce qu’il vous reste à faire !