Quand un héros perché suit son auteur inspiré jusque dans les méandres de la Grosse Pomme : “Brouillards” de Victor Guilbert, paru en avril 2023 aux éditions Hugo Thriller.
Le pitch : Marcel Marchand, excentrique espion des services secrets français, est assassiné par des agents de la CIA dans l’immense réserve d’accessoires d’un célèbre théâtre de New York : le Edmond Theater.
Avant de mourir, il a eu le temps de dissimuler, dans le fatras de décors et accessoires de scène, un mystérieux objet que la CIA comme la DGSE veulent récupérer. Suspectant que l’identité de nombre de leurs agents est tombée entre les mains des renseignements américains à cause de cet espion décédé soupçonné de trahison, les services secrets français veulent envoyer un inconnu hors du circuit pour récupérer l’objet caché.
Or, Marchand a eu le temps de griffonner un nom avant de pousser son dernier soupir : « Boloren ». Comme le nom de cet ancien flic, Hugo Boloren, qui s’ennuie dans sa formation de zythologue (« c’est comme œnologue mais pour la bière ») dans un petit village de montagne. Le colonel Grosset, haut gradé de la DGSE et cousin de l’ancien commissaire d’Hugo Boloren, va donc le convaincre de partir à New York, de s’infiltrer dans le Edmond Theater, d’identifier et de récupérer l’objet caché.
À son arrivée, Hugo va découvrir le monde étrange de ce théâtre de Broadway dirigé par une équipe de Français aux nombreux secrets… L’intransigeant Felix, le gardien trisomique de la réserve d’accessoires, un directeur exhibitionniste, une régisseuse qui ressemble à Mary Poppins, un éclairagiste aveugle, un perroquet alcoolique, une vieille actrice qui a perdu la tête, un janitor de Harlem qui parle français avec l’accent d’un lord anglais, sans compter Clara Colombo, l’agent de la DGSE à peine majeure qui veille sur Hugo de loin, et Germain Jary, l’ancien consul qui tire les ficelles dans l’ombre…
Toute cette petite foule évoluant dans un New York plongé dans une brume inquiétante et tenace dont on murmure qu’elle ne serait pas totalement naturelle. Et même si le colonel Grosset lui rappelle que sa mission se limite à retrouver l’objet caché et le rapporter en France, la petite bille qu’Hugo a dans la tête lui souffle de regarder plus loin. Qu’est-ce qu’un agent de la DGSE faisait dans le sous-sol de ce théâtre ? Pourquoi tout le monde est intéressé par cette montagne d’accessoires poussiéreux ? Est-ce vraiment un agent de la CIA qui a assassiné Marcel Marchand ? Pourquoi a-t-il écrit ce nom de « Boloren » avant de mourir ? Hugo va avancer à tâtons dans le brouillard de son enquête, dans le brouillard de sa vie personnelle et dans le brouillard de la ville de New York… Alors qu’au milieu de ces brouillards, la tragédie re, prête à frapper Hugo Boloren de plein fouet.
Victor Guilbert m’a d’abord emmenée à “Douve” pour de sinistres vacances dans un trou aussi dangereux que paumé avant de m’entraîner dans une éprouvante enquête au cœur de la “Terra Nullius“… Qui aurait cru qu’il allait ensuite m’inviter dans les coulisses d’un théâtre français au cœur de la Ville qui ne dort jamais ?
En froid avec sa bille, notre fumeur de chocolat a quitté la police pour le houblon mais se retrouve tout de même embrigadé par Grosset – non pas le Commissaire mais son cousin le Colonel – afin de retrouver un mystérieux objet qu’un excentrique espion de la DGSE a pris soin de dissimuler dans la réserve du Edmond Theater où il a été assassiné. C’est dans ce contexte qu’on débarque dans un New York plus nébuleux que jamais… Avec Mathilde : Car Mathilde est revenue (Elle n’est pas de moi mais de l’auteur lui-même !).
Dès lors Victor Guilbert déroule une intrigue plus fantasque et ahurissante que jamais mais pourtant bien ficelée, à laquelle on accroche sans délai sans se préoccuper de sa vraisemblance, jusqu’à un dénouement dont seul l’auteur a le secret.
Plus que l’intrigue, c’est l’atmosphère qui nous emporte : Car le brouillard cerne autant la ville que notre personnage, le voilà donc aussi perdu en lui-même que dans cette ville tentaculaire presque réduite aux coulisses d’un théâtre qui recèle plus d’un mystère.
Des coulisses dans lesquelles on côtoie nombre de protagonistes singuliers voire loufoques, de l’éclairagiste aveugle au perroquet alcoolique. Entre éléments culturels et services secrets, Victor Guilbert n’en oublie pas de soigner son suspense autant que sa narration. Teintée d’humour et d’émotions, elle s’adapte parfaitement à l’univers surréaliste que l’auteur nous propose, lui qui trouve toujours le bon mot, même quand Hugo ne les a plus.
En bref… Plus que jamais, Victor Guilbert et Hugo Boloren me font penser à Sherlock Holmes qui s’installe chez Fred Vargas après avoir assisté à une représentation au Majestic Murder : Voilà qui nous offre un thriller touchant et prenant, absolument atypique… Mais surtout un beau moment de lecture.