Un roman court, intense et bouleversant… A l’image du destin brisé auquel il rend élégamment hommage : “Danser encore” de Charles Aubert, paru le 07 septembre 2023 aux éditions Slatkine/Istya & Cie.
Le pitch : L’histoire du boxeur tsigane qui osa défier Hitler
Ce roman en dix rounds s’inspire de la vie de Johann Trollmann, dit ” Rukeli “, boxeur tsigane qui vécut en Allemagne sous les nazis et fut assassiné le 9 février 1943 dans le camp de concentration de Neuengamme.
Né à Hanovre en 1907, Trollmann est sacré Champion d’Allemagne des poids moyens en 1928. Dans toute la République de Weimar, on le surnomme Der tanzende Zigeuner, le tzigane dansant à cause de son inimitable jeu de jambes sur le ring. Rukeli devient boxeur professionnel en 1931 et enchaîne les victoires. En 1932, son entraîneur lui propose de le suivre aux Etats-Unis mais Rukeli choisit de rester. Le journal sportif nazi Box-Sport n’a de cesse de critiquer son style prétendument caractéristique de ” l’imprévisibilité tsigane ” et l’appelle le Gipsy : “Ses coups de poings ne sont pas Allemands.” Par défi, Rukeli fait broder ce surnom sur son short de boxeur.
En 1933, avec l’arrivée au pouvoir de Hitler, tout se complique. Gibsy est déchu de son titre et tenu de le remettre en jeu. Pour ce match historique, il décide de ne plus bouger et encaisse les coups jusqu’au KO final. Il n’a plus le droit de boxer. En 1942, Rukeli est envoyé sur le front de l’Est.
Arrêté par la Gestapo lors d’une permission, il est déporté au camp de Neuengamme et tué d’un coup de fusil.
Charles Aubert fait partie de ces auteurs en qui j’ai une confiance telle que je me procure chacun de ses titres sans hésiter, peu importe le genre ou le résumé. Il m’a passionnée avec sa trilogie des couleurs, il m’a fascinée avec “Tala Yuna“, il m’a captivée avec “Danser encore“. Non, il m’a bouleversée.
Après quatre pures fictions, Charles Aubert nous propose ce qu’on pourrait qualifier de biographie romancée. Car ceci est une histoire vraie. Celle de Johann Trollmann dit Rukeli, un boxeur allemand dont les origines tsiganes ont causé la perte. Une histoire que l’Histoire a longtemps oubliée avant de la rétablir peu à peu. Avant que Charles Aubert ne la rende éternelle avec cet écrit.
Car Charles Aubert nous mets KO en dix rounds. Dix rounds et moins de 200 pages. Dix rounds et quelques années d’un jeune homme promis à un bel avenir avant qu’Hitler ne monte sur le ring du monde et l’entraîne dans l’horreur avec lui.
Bien qu’allemand, le jeune homme n’est pas considéré comme tel. Ses cheveux bruns, sa couleur de peau, sa façon de boxer. Parce qu’il appartient au Peuple du vent et qu’il “danse”. Il danse et danse encore à chaque combat, déstabilise ses adversaires par son jeu de jambes, brille par son talent et gagne le respect de ses pairs par ses prouesses. De ses pairs oui, mais pas des nazis.
D’une plume poignante et percutante, aérienne et douloureusement poétique, Charles Aubert dresse le portrait d’un pays et de son insidieuse dérive, d’un boxeur à qui on a voulu tout prendre. Son titre. Sa danse. Sa licence. Sa famille. Ses droits. Sa vie. On a voulu le faire plier, il a encaissé les coups. On a voulu le mettre à genoux, il est resté debout. Pour le meilleur et pour le pire.
Alors on referme cet ouvrage sans voix, la gorge nouée et les larmes aux yeux. Tout à la fois sidéré, outré, révolté par ce qui est arrivé, par le sadisme inhérent à l’être humain qui ne connaît décidément pas de fin. Profondément ému par cette lecture essentielle qui rappelle que le Mal n’a pas de visage, ou plutôt qu’il a le visage de n’importe qui, raison pour laquelle il faut toujours veiller, surveiller, se souvenir pour que l’Histoire ne puisse se répéter.
En bref, je remercie Charles Aubert pour ce livre qui m’a permis de savoir qui était Rukeli. Qui EST Rukeli. Je remercie Charles Aubert de lui avoir offert cette dernière danse qui se veut pertétuelle et intemporelle à travers ses mots, et nous permet de le voir danser à notre tour. Danser encore. Danser toujours. Lisez-le aussi pour que, plus jamais, il ne cesse de danser. Pour le garder à la lumière et éloigner l’Ombre….