Chroniques 2024 \ Monozande de Kamel Khélif

Le devoir de mémoire à travers le pouvoir de l’art : “Monozande” de Kamel Khélif, paru ce 05 septembre 2024 aux éditions du Tripode.

Le pitch : Un roman graphique exceptionnel sur un homme survivant à la violence, un condensé d’émotions et de pudeur.
En 2014, dans le cadre de l’exposition Conflict, Time, Photography à la Tate Modern de Londres, le photographe Jim Goldberg propose une carte blanche à Kamel Khélif, qui décide alors de transmettre l’histoire de N’Diho Monozande. En 2008, cet homme avait vu au Congo son épouse et leurs huit enfants assassinés par un groupe armé. Lui-même fut laissé pour mort après avoir reçu un coup de machette. Les peintures et le texte que l’artiste lui a dédiés n’avaient jamais été publiés depuis.
L’œuvre de Kamel Khélif demeure largement méconnue en France, sans doute à cause de sa singularité́. Elle est à l’image de Monozande, à la fois artistique, littéraire et mémorielle, toute entière vouée à l’observation du monde, à l’empathie. D’Homicide (avec Amine Medjdoub, Z’éditions, 1996) au Temps des crocodiles (avec Mathieu Belezi, Le Tripode, 2024), elle invoque comme aucune autre notre rapport à nous-même, à l’autre, à l’exil, au déracinement.

Je n’aurais probablement jamais découvert l’œuvre de Kamel Khélif sans l’intarissable inspiration de Georgia. En effet, dans le cadre du salon des “Livres dans la boucle” de Besançon qui se déroulera du 20 au 22 septembre 2024, celle-ci m’a confié la mission d’y animer une table ronde en compagnie de ce peintre avec le dessinateur Edmond Baudoin et la romancière Charlotte Augusta, sous le coup de crayon de Bernard Minier. Un véritable défi pour moi, tout à la fois inédit, impressionnant et incroyable, que je me sens toutefois prête à relever, armée de ma passion et de ma curiosité ! J’en profite pour remercier Georgia pour sa confiance ainsi que la maison d’édition du Tripode qui m’a très gentiment transmis cet album avant sa parution pour me permettre de me préparer.

Si l’art me captive, je n’ai pas l’habitude de chroniquer ce genre de livre. Aussi vous voudrez bien excuser l’éventuelle maladresse de mon avis, lequel aura au moins le mérite de la sincérité. Comme je vous l’indiquais en préambule, je ne connaissais pas Kamel Khélif avant de découvrir “Monozande“… Dont je ne connaissais pas l’existence non plus. C’est à travers cet album, à travers les peintures de Kamel Khélif, à travers ses écrits, que j’ai donc fait la connaissance de N’Diho Monozande dont la famille a été massacrée par un groupe armé au Congo. C’était en 2008, lui-même en réchappera de justesse après avoir été laissé pour mort, victime d’un coup de machette.
Je ne connaissais pas l’effroyable histoire de cet homme, mais celle-ci m’a percutée de plein fouet à la lecture de cet ouvrage. Elle m’a percutée, oui, terrassée même, et m’a hantée bien longtemps après en avoir tourné la dernière page.
L’ouvrage est court mais l’hommage est grand, il n’était pas besoin d’en faire davantage tant les textes sont saisissants, brefs mais forts et justes tout en restant d’une grande pudeur, poétiques malgré l’horreur qu’ils évoquent.
Et que dire des planches de Kamel Khélif ? Les mots me manquent tant elles se suffisent à elles-mêmes, par leur éloquence, par leur puissance. Un travail sans aucune couleur, car il n’y en a pas dans le parcours de ce survivant, et pourtant tout en nuances pour mieux raviver la mémoire et susciter l’empathie. La transmission de l’indicible à l’épreuve de l’art, et Kamel Khélif y parvient avec brio, sans doute armé de ses propres failles pour mieux nous conter celles des autres, avec un talent tout aussi singulier que remarquable.

En bref, je ne sais pas si je fais honneur à l’œuvre de Kamel Khélif, mais ce dernier rend un bouleversant hommage à N’Diho Monozande, sa famille, son histoire, à travers cet album aussi éprouvant que bouleversant. Remercions Jim Goldberg de lui avoir offert carte blanche en l’associant à son exposition à la Tate Modern de Londres il y a dix ans, et remercions encore les éditions Le Tripode de nous en avoir donné l’entier accès en librairie.

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