Chroniques 2024 \ Celles qui peuvent encore marcher et sourire d’Océane Perona

Un titre évocateur pour un premier roman éloquent : “Celles qui peuvent encore marcher et sourire” d’Océane Perona, paru le 14 mars 2024 aux éditions Julliard.

Le pitch : Héloïse dort mal et boit trop de café. Dans son bureau du groupe Violences, les journées se suivent et les procès-verbaux d’audition de victimes de viol s’accumulent sur la table. Chaque jour, Héloïse a le sentiment de se démener pour rien, puisque la plupart de ses enquêtes sont classées sans suite. Mais lorsque Laura est violée et laissée pour morte dans son appartement, Ophélie, jeune sociologue stagiaire dans le groupe, voit Héloïse s’enflammer pour cette affaire hors normes. L’étudiante curieuse se rend vite compte que la brigade elle-même n’est pas épargnée par les violences.
Immersion dans le quotidien d’un service de police spécialisé, ce roman entremêle les voix de femmes, celles qui parlent et celles qui écoutent, celles qui sont victimes mais marchent et rient encore.

J’aurais pu la croiser aux Quais du Polar en avril dernier. Mais c’est finalement les Livres dans la Boucle qui m’auront permis de rencontrer Océane Perona. De la rencontrer, mais surtout de la lire. Parce que j’ai eu la chance et le plaisir d’animer une table ronde en sa compagnie et celle de Justin Morin. Deux auteurs pour qui l’écrit n’a pas toujours été romanesque. S’il fut journalistique pour Justin Morin, il est d’abord universitaire pour Océane, à l’origine d’une thèse largement saluée sur la place du consentement dans les enquêtes policières pour violences sexuelles. Mais c’est dans le romanesque que l’émotion nous gagne et Océane Perona a bien fait, elle aussi, de succomber à cette tentation littéraire.

Forte d’une habile construction narrative, Océane Perona s’empare des codes de la littérature noire pour mieux nous frapper au cœur et nous cueillir l’âme. A l’instar d’Ophélie, étudiante en sociologie qui effectue un stage pour sa thèse, nous voici dans l’œil du cyclone des infractions sexuelles aux côtés d’Héloïse et tous les hommes qui composent le groupe d’enquêteurs auquel elle appartient. L’autrice sème le doute et ménage son suspense tandis qu’elle donne la parole à tout le monde : Aux policiers dont nous suivons les investigations mais également aux victimes, aux témoins, aux mis en cause… Autant d’auditions qui nous heurtent, nous sidèrent, nous émeuvent, nous révoltent… Autant d’auditions qui toujours nous touchent, qui jamais ne nous laissent indifférents. C’est sans aucun doute là la grande force de ce roman au réalisme percutant.
Mais l’autrice ne s’arrête pas en si bon chemin et pousse la réflexion plus loin sans se faire moralisatrice pour autant, en interrogeant la notion de victime, notamment dans sa prise en charge, mais également (et en conséquence) le statut d’enquêteur, un métier difficile à exercer tant il est vivant, confronté à l’horreur au quotidien et contraint à l’évolution constante. C’est prenant, passionnant, effarant… On pourrait déprimer mais la résilience qui se dégage de ce texte force le respect.
La plume est vive, alerte, le style sensible et écorché pour une intrigue qui nous tient en haleine par sa structure audacieuse autant qu’elle nous bouscule durablement.

En bref, pour son premier roman, Océane Perona nous offre une lecture au réalisme troublant, à haute dimension sociale et sociétale, émotionnelle et psychologique.

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