Vous le savez, mes Bookinautes adorés : Septembre s’est révélé comme le mois le plus chargé que j’aie jamais connu… Suite aux tables rondes que j’ai eu la chance et le plaisir d’animer les 21 et 22 septembre à Besançon, j’ai profité de mon trajet retour pour me consacrer à la Gazette du Lecteur prévue… Le 30 septembre… Oui, oui ! ^^ Car il était impossible pour moi de ne pas vous présenter deux auteurs dont j’adore la plume unique et indivisible, dont chaque roman est un véritable coup de cœur… Et ils n’ont pas hésité à se prêter au jeu de mes questions indiscrètes entre deux séances de dédicaces de leur planning overbooké ! Je remercie vivement Ludovic Manchette et Christian Niemiec de m’avoir accordé cette belle interview dont je vous laisse à présent découvrir les réponses : Belle rencontre et bonne lecture !
Quels auteurs êtes-vous ? Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Christian : Nous écrivons des romans ensemble, à quatre mains comme on dit même si, dans les faits, ce sont les deux mains de Ludovic qui reportent tout sur l’ordinateur.
Ludovic : Une fois que nous nous sommes mis d’accord sur toute la trame, après des mois de travail, nous nous asseyons tous les deux face à l’écran et nous cherchons, ensemble. L’un de nous lance une idée, l’autre rebondit, et nous affinons, tous les deux, jusqu’à ce que la meilleure phrase s’impose. Alors je la tape, nous la retravaillons éventuellement, puis nous passons à la suivante.
Christian : Notre premier roman, « Alabama 1963 », est sorti en 2020 aux éditions du Cherche Midi. Le deuxième, « America[s] », est publié en 2022 et le troisième, « À l’ombre de Winnicott », vient de paraître, toujours chez le même éditeur.
Question pêle-mêle aux lecteurs que vous êtes aussi : Si vous deviez vous décrire…
– En un roman ?
Ludovic : Ce serait forcément un de nos romans.
Christian : Disons le dernier, celui qui nous ressemble le plus à ce moment de nos vies.
– En un héros de papier ?
Ludovic : Un personnage d’écrivain peut-être. Je pense à celui de « Misery », de Stephen King. Heureusement, je n’ai pas encore rencontré de Misery…
Christian : « Gatsby le Magnifique », tant qu’à faire. J’adore les belles maisons, les beaux meubles, les beaux objets. Et si j’étais Gatsby, j’aurais enfin les moyens de mes goûts ! (Rires)
– En un écrivain fétiche ?
Ludovic : Je n’ai pas vraiment d’écrivain fétiche. Il y en a très peu dont j’ai lu toute l’œuvre, par exemple. Raymond Radiguet est de ceux-là, mais il n’a écrit que deux romans avant de mourir à vingt ans…
Christian : Je n’en ai plus. J’essaie de lire des romans très variés et, pour cela, il faut varier les auteurs. À moins de nous lire, nous, mais je ne peux pas passer mon temps à nous relire ! (Rires)
– En un moment et/ou un lieu pour lire ?
Ludovic : Le soir, au lit. J’aime aussi beaucoup lire pendant la journée, mais c’est rarement possible…
Christian : Le train, c’est très bien aussi !
Pourquoi avoir choisi d’associer vos plumes pour nous raconter des histoires ?
Christian : Nous travaillions déjà ensemble en tant qu’adaptateurs, c’est-à-dire traducteurs de dialogues de films. Depuis dix-sept ans, nous écrivons des VF à deux. « Dune », « Scream », « Jane Eyre », « Pauvres créatures », tout récemment « The Substance », qui sort le 6 novembre…
Ludovic : Nous avons eu envie de raconter nos propres histoires, tout simplement. Et toujours à deux. Ce qui est incroyable, c’est que, déjà tout petit, Christian disait qu’il voulait « écrire des romans à deux ».
Déjà trois romans à votre actif… Et dire qu’ils sont différents les uns des autres relève du doux euphémisme ! Comment l’expliquez-vous ?
Christian : Nous aimons explorer des genres différents. En doublage aussi, nous passons sans cesse de la comédie au film d’horreur, de la romance au film d’action. C’est ce qui fait le sel de ce métier.
Ludovic : Au cinéma, nous aimons particulièrement les réalisateurs qui se renouvellent et abordent des genres différents. Comme Steven Spielberg, qui va passer de « E.T. » à « Indiana Jones », de « Jurassic Park » à « La Liste de Schindler ». Idem pour Stanley Kubrick (« Shining », « Lolita », « Barry Lyndon », « 2001, l’Odyssée de l’espace »…)…
Christian : … Ridley Scott (« Alien », « Thelma et Louise », « Gladiator ») ou Sydney Pollack avec « Tootsie », « Out of Africa », « Les Trois jours du condor » ou encore « Jeremiah Johnson »… C’est vrai qu’on voit plus rarement des grands écarts de ce genre en littérature.
Que diriez-vous pour résumer votre bibliographie ?
Christian : Notre romans sont tous les trois classés en littérature générale, ou littérature blanche, mais ils sont assez différents les uns des autres, et appartiennent chacun à un voire plusieurs genres différents. « Alabama 1963 » peut être qualifié de polar ou de roman historique, « America[s] » est un road trip doublé d’un roman initiatique, et emprunte beaucoup au conte de fée (Prince charmant, grand méchant loup, château…), et « À l’ombre de Winnicott » est un roman gothique… Avec des éléments de comédie.
Ludovic : L’idée étant, à chaque fois, de ne pas se répéter. Et malgré tout, on nous retrouve, forcément.
Après deux séjours aux Etats-Unis dans un passé proche, vous traversez l’Atlantique pour vous installer en Angleterre, précisément dans le Sussex dans les années 1930. Pourquoi avoir changé d’époque et de décor ?
Ludovic : Nous souhaitions raconter une histoire de fantômes, et l’Angleterre nous a semblé être le pays idéal où placer notre manoir.
Christian : Et les années 1930 permettaient des parallèles avec notre époque. Il faut dire aussi qu’il s’est passé des choses en 1934, qui résonnaient avec des thèmes que nous traitions.
Coutumier du mélange des genres, vous vous offrez une incursion dans l’univers fantastique à travers ce roman gothique brillamment orchestré : D’où vous est venue cette idée ?
Christian : Nous apprécions beaucoup les romans et les films qui parlent de fantômes, et le sujet de la vie après la mort nous intéresse beaucoup.
Ludovic : Nous avons tous les deux eu une grand-mère qui s’est retrouvée veuve assez jeune. Ceci explique peut-être aussi cela…
Christian : Et puis ma tante était médium.
Ludovic : Et ma grand-mère faisait des séances de spiritisme…
Maniant l’art de la description sans jamais alourdir votre propos, avec un style très visuel pour ne pas dire cinématographique, vous nous accueillez à Winnicott Hall, un manoir qui nous apparaît comme un personnage à part entière tant l’atmosphère que vous y installez se fait rapidement pesante et oppressante voire angoissante : Comment parvient-on à inquiéter son lectorat de la sorte ?
Ludovic : Il a fallu faire monter la tension, peu à peu. S’il arrive quelque chose de très « gros » tout de suite, on n’y croit pas. Tandis que si ça commence en douceur, et que cela augmente insidieusement…
Christian : Et puis il fallait que certains de nos personnages soient sceptiques. Aussi sceptiques que le lecteur. Voire plus sceptiques, à tel point que le lecteur peut se dire à un moment : « Mais qu’est-ce qu’il lui faut pour y croire ?! »
Votre intrigue est d’autant plus captivante qu’elle est portée par une galerie de personnages fort bien croqués, dotés d’un véritable supplément d’âme, auxquels on a tôt fait de s’attacher. Parmi eux, George et Viviane, un jeune garçon aveugle et sa préceptrice française, tous deux dotés d’un caractère bien trempé et dont la complicité n’aura de cesse de nous toucher. Comment ceux-ci se sont-ils invités dans votre imaginaire ?
Christian : Viviane nous a été inspirée par la nounou et photographe américaine Vivian Maier, d’où son prénom. Quant à George, c’est Ludovic qui a eu cette idée, et le fait qu’il ait vécu quelques années en face d’un institut pour déficients visuels n’y est certainement pas étranger.
Ludovic : J’ai vu beaucoup d’enfants apprendre à marcher avec une canne blanche, dans la cour et dans la rue, et c’est quelque chose qui m’a beaucoup marqué.
Christian : L’association de ces deux personnages, plein d’esprit, promettait de belles réparties et de bons moments.
Dans ce roman, vous nous faites autant peur que rire et pleurer, privilégiant toujours l’émotion pour mieux nous toucher… Un des rares points communs entre vos trois écrits : En quoi est-ce essentiel à vos yeux ?
Christian : Nous tenons beaucoup au mélange des genres. Cela nous semble plus intéressant et plus réaliste qu’un roman qui ne serait que drôle, que triste, qu’effrayant…
Ludovic : Nous lisons pour ressentir des émotions, et des émotions diverses. Et nous écrivons pour provoquer ces mêmes émotions.
Question pêle-mêle aux lecteurs que vous êtes toujours : Quel est…
– Votre livre de chevet ?
Ludovic : « L’Attrape-cœurs » de J.D. Salinger est le livre que j’ai le plus lu.
Christian : Il existe tant de romans que je n’en relis jamais. Ah si, une fois, quand j’étais plus jeune. J’ai lu deux fois « Lestat le vampire » d’Anne Rice. C’est mon record personnel !
– Le bouquin qui cale votre bibliothèque ?
Ludovic : C’est toujours compliqué de dénigrer un livre, parce que c’est tellement de travail d’écrire un roman. Même un mauvais roman. J’ai répondu à cette question dans une interview et je m’en veux encore !
Christian : Idem.
– Le roman que vous auriez rêvé d’écrire ?
Ludovic : J’ai répondu « Le Nom de la rose » d’Umberto Eco la dernière fois qu’on m’a posé la question. Je vais m’y tenir. Ah, et « La Nostalgie de l’ange » aussi, d’Alice Sebold.
Christian : Si le roman que je rêve d’écrire existait déjà, je ne m’obstinerais pas… J’apprendrais le piano !
– Votre lecture en cours ?
Ludovic : « De l’écriture » de Francis Scott Fitzgerald. Pour être exact, il s’agit de textes de l’auteur sur l’écriture qui ont été réunis en un recueil.
Christian : « L’Oiseleuse de la Reine » d’Isabelle Duquesnoy.
Un petit mot pour la fin ? Votre roman vient tout juste de paraître, mais avez-vous déjà une idée pour vos prochaines aventures littéraires ?
Christian : Pas vraiment, non. Nous avons tant à faire avec la promotion de « Winnicott », comme nous l’appelons entre nous. Les retours sont excellents et assez unanimes, à part deux ou trois personnes qui n’ont vraiment rien compris à nos intentions et s’attendaient à un roman d’horreur, ou sont passés à côté de la dimension comique (ne me demandez pas comment) mais, avant que le bouche-à-oreille ne fasse son œuvre, nous devons accompagner le roman jusqu’aux premiers lecteurs… Sur les salons du livres ou en librairies, ce que nous apprécions beaucoup de toute façon.
Ludovic : Pour la suite, s’il y a une suite, nous n’avons que quelques vagues thèmes. Vraiment rien de concret. Pas même un pays, encore moins une histoire…
Un immense merci à ces deux formidables auteurs pour cet échange passionnant et le temps qu’ils ont su m’accorder en dépit d’un emploi du temps surchargé ! Je suis ravie d’avoir ainsi pu vous les présenter à ma façon, car ils sont aussi captivants que leurs romans ! A présent, c’est à vous de bouquiner mes Bookinautes adorés : Trois romans et autant de merveilleuses aventures vous attendent entre les pages de Ludovic Manchette et Christian Niemiec si vous ne vous y êtes pas encore plongés… Le plus dur sera de choisir par lequel commencer !