Chroniques 2024 \ Mes guerres de Marine Jacquemin

Chronique d’une héroïne qui s’ignore : “Mes guerres – Confidences d’une grand reporter” de Marine Jacquemin, paru le 17 avril 2024 aux éditions de l’Observatoire.

Le pitch : Voilà une femme que l’on a regardée derrière nos écrans de télévision en nous disant : elle a du cran. Son visage, sa voix si familière, ses reportages en zone de guerre (Afghanistan, Golfe, Tchétchénie, Rwanda…), son style bien à elle ont marqué nos esprits. Aujourd’hui, elle lève le voile pour nous faire découvrir les coulisses d’un monde aussi passionnant qu’impitoyable dans lequel elle a su se frayer un chemin. L’amour du métier de grand reporter chevillé au corps, elle a dû endurer la misogynie et les stéréotypes dont on l’affublait, mais elle a tenu bon au nom d’un idéal : porter la parole des femmes et des hommes victimes de l’horreur de la guerre. Ce récit n’élude pas non plus ses guerres intimes : endométriose, cancer, harcèlement. Celle qui n’a jamais pu être mère a aussi soulevé des montagnes pour construire, il y a vingt ans, un hôpital pour enfants à Kaboul, dans un Afghanistan occupé par les talibans. Il est toujours debout. C’est ce parcours d’aventurière moderne que restitue pour nous Marine Jacquemin. Ce livre est à la fois un témoignage humain bouleversant et l’introspection d’une femme dans un monde d’hommes, décidée à s’accomplir en tant que journaliste, amie, amoureuse…

Quand on m’a appris que j’allais animer le grand entretien de Marine Jacquemin au salon des “Livres dans la boucle” de Besançon, je me suis souvenue de la petite fille que j’étais, quand je la voyais à la télévision nous emmener aux quatre coins du monde pour nous révéler l’indicible avec une bouleversante humanité. Une humanité qu’elle a su conserver en dépit de toutes les horreurs auxquelles elle a été confrontée, malgré toutes les épreuves qu’elle a dû traverser. C’est donc la petite fille qui a accueilli la nouvelle avec fébrilité, en ouvrant de grands yeux… Pour encore mieux bouquiner : Moi qui n’ai pas l’habitude ce genre de littérature, il me fallait être à la hauteur de cette grande dame dont j’admire le travail et la personnalité.

Si la lecture de Tintin et de Jules Verne pouvaient laisser présager de son impressionnante carrière, rien n’était joué d’avance car la discipline, pourtant indéniable au fil de ses reportages, n’était clairement pas son fort durant l’enfance. Mais il faut toujours un premier reportage pour y croire vraiment, et celui-ci se déroulera au Sud Liban en mars 1985, où la signification du mot “guerre” prendra tout son sens.
C’est ainsi que naît la grand reporter qui se raconte dans ce livre. Un métier ingrat, qui ne peut être exercé sans passion, pour lequel elle a couvert des affrontements tous plus terribles les uns que les autres, en sacrifiant beaucoup, en s’oubliant souvent, mais en retenant sans cesse cette infime part de chance qui lui a offert quelques rencontres aussi improbables qu’inoubliables.
Considérée – à juste titre – comme une pionnière reporter de guerre, Marine Jacquemin soulignera toutefois que les femmes ont toujours été présentes pour couvrir les conflits au XXème siècle. Elle en profitera par ailleurs pour tordre le coup aux idées reçues et restituer une image plus juste, donc nécessairement moins glamour, de la femme reporter, une image qui lui a longtemps collé à la peau bien malgré elle, et lui a valu bien des critiques injustifiées – la jalousie et la méchanceté n’ayant pas de sexe comme elle a également pu le remarquer -, avant d’envisager l’évolution même de la profession.
Mes guerres“, ce sont aussi des combats plus intimes, et sans doute plus douloureux encore. Ceux contre la maladie, qui l’ont empêché d’être mère, l’ont contrainte aussi à lever le pied dans sa carrière. D’autres combats, plus odieux, plus insidieux, plus sournois encore, quand on est victime de harcèlement moral… Néanmoins la passion, conjuguée à sa rage de vivre, lui ont permis de tout affronter, de tout surmonter.
Elle écrira (P127) “C’est toujours la même histoire dans ma tête : à chaque fois que je dois partir, le même déchirement d’avoir à tourner le dos. Quitter les gens, les laisser à leur propre sort. Cet abandon hante mes cauchemars. (…) Un jour, je m’impliquerai.” Ce qu’elle finira par faire, de la plus belle des manières mais pas sans difficulté, avec l’aide précieuse de Muriel Robin, dans le projet d’un hôpital à Kaboul qui germera en novembre 2001 et ouvrira en 2005. Un projet solidaire, parti de rien, pour lequel elle a obtenu nombre de soutiens, mais face auquel on lui a aussi opposé du mépris, un projet courageux qu’elle a su mener à bien grâce à un engagement infaillible et en dépit de toutes les mesquineries possibles, un projet essentiel qu’elle a su faire perdurer avec les aides et soutiens nécessaires et qui subsiste encore aujourd’hui malgré le retour des Talibans au pouvoir.

En bref, Marine Jacquemin nous confie “Longtemps je n’ai pas voulu regarder ma douleur en face”, raison pour laquelle il lui a été difficile d’écrire ce livre introspectif tout à la fois dense et touchant. Elle écrira encore “Je suis tellement exposée à la violence dans mon métier que j’ai développé une tolérance excessive à l’insupportable. (…) J’écris ma vie, je libère ma vérité, je reprends ma juste place.” Et il était temps, non ? Un immense merci à Mélanie Freynet d’avoir su impulser cet ouvrage !

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