Chroniques 2024 \ La pouponnière d’Himmler de Caroline de Mulder

L’humanité de la fiction pour mieux nous conter l’inhumanité de l’Histoire : “La Pouponnière d’Himmler” de Caroline de Mulder, paru le 07 mars 2024 aux éditions Gallimard.

Le pitch : Heim Hochland, en Bavière, 1944. Dans la première maternité nazie, les rumeurs de la guerre arrivent à peine ; tout est fait pour offrir aux nouveau-nés de l’ordre SS et à leurs mères “de sang pur” un cadre harmonieux. La jeune Renée, une Française abandonnée des siens après s’être éprise d’un soldat allemand, trouve là un refuge dans l’attente d’une naissance non désirée. Helga, infirmière modèle chargée de veiller sur les femmes enceintes et les nourrissons, voit défiler des pensionnaires aux destins parfois tragiques et des enfants évincés lorsqu’ils ne correspondent pas aux critères exigés : face à cette cruauté, ses certitudes quelquefois vacillent. Alors que les Alliés se rapprochent, l’organisation bien réglée des foyers Lebensborn se détraque, et l’abri devient piège. Que deviendront-ils lorsque les soldats américains arriveront jusqu’à eux ? Et quel choix leur restera-t-il ? Reconstituant dans sa réalité historique ce gynécée inquiétant, ce roman propose une immersion dans un des Lebensborn patronnés par Himmler, visant à développer la race aryenne et à fabriquer les futurs seigneurs de guerre. Une plongée saisissante dans l’Allemagne nazie envisagée du point de vue des femmes.

Si je la connaissais de nom, je n’avais encore jamais eu l’occasion de me plonger dans un ouvrage de Caroline de Mulder avant de découvrir mon programme au salon des “Livres dans la Boucle” de Besançon, où j’animais une table ronde en sa compagnie ainsi que Lionel Duroy et Grégory Cingal… Une conférence historique à plus d’un titre, donc, et la rencontre avec une merveilleuse plume dont je n’ai que trop tardé à vous parler…

Forte d’un travail de recherche et de documentation tout à la fois minutieux et considérable, l’autrice nous offre une intrigue incroyablement immersive pour mieux nous faire vivre un pan méconnu de l’Histoire, de l’intérieur et sous un angle inédit. Parce qu’on pense immédiatement aux camps de la mort quand il s’agit d’évoquer le IIIème Reich, mais pas aux “camps de la vie“, une autre effroyable idée du sinistre Heinrich Himmler : Les Lebensborn.
C’est dans l’un d’entre eux, au Heim Hochland, que Caroline de Mulder nous entraîne dans ce roman choral d’une remarquable densité. Si les femmes y sont bien traités, c’est pour mieux s’en servir comme du matériel de guerre, des ventres instrumentalisés au profit d’une affreuse idéologie : Les pertes sont lourdes dans les rangs de l’armée allemande, il faut pouvoir renouveler ces forces vives et retrouver un “sang pur”.
Trois personnages se partagent ainsi ce récit pour mieux nous révéler toute l’horreur de la situation. Renée, une jeune fille française enceinte d’un soldat allemand dont elle s’est amourachée, ce qui lui a valu d’être tondue et chassée pour atterrir au Heim Hochland, où œuvre la Schwester Helga, une infirmière consciencieuse et dévouée, persuadée d’être du “bon côté”, mais dont les certitudes vont peu à peu s’effondrer lorsqu’elle comprend le sort réservé aux bébés qui ne répondent pas aux critères de de la race aryenne. Quant à Marek, prisonnier politique d’origine polonaise ramené de Dachau pour entretenir le domaine, il ne faut surtout pas le voir, parce qu’il révèle l’envers et l’atrocité du décor : La faim, le froid, les coups et autres sévices infligés à ces malheureux.
Trois personnages d’une profonde humanité qui permettent à leur autrice de dire l’indicible, de dévoiler la vie d’un Lebensborn sous tous ses abords, d’interroger l’Histoire face au Mal absolu en usant de la puissance romanesque. C’est d’autant plus prenant et touchant que la plume est fine et pourtant percutante, le style incisif tout en restant élégant, pour une lecture qu’on garde en mémoire longtemps après la dernière page tournée.

En bref, Caroline de Mulder nous livre un roman historique d’une émouvante intensité pour mieux aborder une autre ignominie de l’Allemagne nazie.

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