
Un roman aussi prenant qu’émouvant, mais surtout porteur de mémoire : « Les ombres du monde » de Michel Bussi, paru ce 14 août 2025 aux Presses de la Cité.
Le pitch : Octobre 1990.
Le capitaine français Jorik Arteta, en mission au Rwanda, rencontre Espérance, jeune professeure engagée dans la transition démocratique de son pays.
6 avril 1994.
Un éclair déchire le ciel de Kigali. Le Falcon du président rwandais explose en plein vol. Commencent alors cent jours de terreur et de sang. Les auteurs des tirs de missiles ne seront jamais identifiés. Quelqu’un, pourtant, connaît la vérité.
Noël 2024.
Jorik, sa fille et sa petite-fille s’envolent pour le Rwanda. Tous poursuivent leur propre quête, tourmentée par les fantômes du passé.
Profitant avec délectation de la folle boulimie livresque qui m’anime et décuple ma passion ces derniers temps, j’ai boulotté un grand nombre d’ouvrages de la rentrée littéraire durant l’été, retrouvant mes lectures dès qu’un moment libre, aussi infime soit-il, m’était accordé. Parmi les titres dont je me suis enivrée, ce nouveau roman de Michel Bussi. Dont je n’ai pas pris la peine de regarder le résumé. Dont la couverture se démarquait du reste de sa bibliographie. Dont le titre dénotait aussi. Pour autant, je ne me suis pas posée la moindre question, trop heureuse de le retrouver en librairie. Aurais-je dû m’interroger, me renseigner ? Non. Parce que la surprise aurait été tout aussi grande. Et la déflagration émotionnelle tout aussi forte.
Par le passé, Michel Bussi s’était déjà affranchi de sa zone de confort et nous avait bousculé en publiant “Tout ce qui est sur Terre doit périr / La dernière licorne“, d’abord sous pseudo puis sous son véritable nom. Il se renouvelle et nous épate encore cette année, mais tout autrement, avec un bouleversant roman historique aux allures de thriller, aussi captivant et éprouvant qu’utile et nécessaire. Oserais-je dire qu’il s’agit là du roman d’une vie ? Oui. Parce qu’on sent incontestablement que l’auteur a mis son cœur, son âme et ses tripes à l’ouvrage et au service de la mémoire. Le roman d’une vie, donc, mais pas seulement : Le roman d’un pays, aussi.
Entre deux époques et à travers trois générations, Michel Bussi revient sur le génocide des Tutsi qui a défiguré et transfiguré le visage du Rwanda. Fort d’un ambitieux et minutieux travail de recherche et de documentation, l’auteur mêle habilement fiction et réalité, avec respect mais authenticité pour mieux nous emmener au cœur de l’Histoire et en révéler un pan absolument dramatique, terrifiant même, et pourtant méconnu… Voire passé sous silence.
Avec rigueur et sensibilité, Michel Bussi présente les faits, rappelle les enjeux, démontre les implications et réveille l’horreur pour mieux questionner les notions de pardon et de réconciliation.
C’est d’autant plus poignant et déchirant que c’est livré avec beaucoup d’humanité, même dans les plus sombres moments, où celle-ci s’est oubliée. Le contexte est obscur, la vérité complexe, certains mystères demeurent… Mais l’essentiel est là, sous nos yeux, dans toute son atrocité.
En véritable maître du suspense, Michel Bussi n’en oublie pas son ADN littéraire et nous offre ainsi une structure narrative remarquablement maîtrisée, une intrigue solide, dense et puissante, tout en restant dans le vrai, fidèle à ses principes, ses valeurs, sa volonté mémorielle.
C’est à la fois éclairant et sidérant… Ce n’est pas un simple bouquin mais une fresque historique d’une ampleur rare, portée par des personnages forts et une plume audacieuse, efficace, fluide et intense. La tension est constante, pourtant c’est une lecture qui demande du temps. Pour apprendre. Pour comprendre. Pour réaliser. Pour digérer. Dès lors que notre conscience s’éveille, les émotions nous submergent et les protagonistes nous hantent longtemps, très longtemps et bien après la dernière page tournée. Pour ne jamais oublier.
En bref, il fallait de l’audace, du courage et du talent pour livrer pareil roman. Et Michel Bussi a réussi. Pour cette véritable leçon d’Histoire, d’humanité et de vie, je le remercie, lui mais aussi Espérance, Aline, Maé et Jorik. Sans oublier les gorilles.