Mes petits Bookinautes chéris : Les quatre lives que j’ai eu la chance de réaliser en compagnie des Louves du Polar pour le compte du site BePolar m’ont permis de retrouver la plume de quelques autrices et d’en découvrir d’autres… Parmi elle, Nathalie Sauvagnac. J’ai ainsi lu deux de ses romans, “Les yeux fumés” puis “Et nous au bord du monde” : Deux livres aussi atypiques fascinants qui m’ont conduite à solliciter leur autrice, laquelle m’a très gentiment accordé cette interview ! Je suis particulièrement ravie de pouvoir ainsi vous la présenter : Belle rencontre et bonne lecture !
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je suis écrivaine, metteur en scène et comédienne. J’ai vécu ici et là, j’ai écrit de ci de là, mais plutôt entre minuit et cinq heures du matin. J’aime le noir des coulisses d’où l’on voit poindre les lumières de la scène, le noir de la nuit pour y traquer la lumière de mes personnages bancals, mal à l’aise, marginaux, au bord du monde. J’écris depuis qu’on m’a mis un crayon dans la main, je joue, depuis, à inventer des histoires, des mises en scène. J’écris des romans mais aussi pour le théâtre, mes pièces ont été jouées à plusieurs reprises. J’ai fait mienne la devise de Anton Tchekhov : « L’écrivain a le devoir de salir son imagination avec la boue de la vie ».
Petite ou grande lectrice ? Quelle place tient la lecture dans ta vie ?
J’ai beaucoup lu, je lis un peu moins. Je ne peux pas m’endormir sans avoir lu quelques pages. Je lis ou j’écoute des livres audios en me baladant dans la forêt. Selon les périodes je lis du noir, de la philosophie, des romans, du théâtre.
Quel a été ton premier coup de cœur littéraire ? Et le dernier ?
Le premier vrai coup de cœur : « L’écume des jours » de Boris Vian. Et tout Boris Vian ensuite. Ça a été une claque monumentale de voir la liberté de ton, la liberté du texte, la jeunesse et l’impertinence. Et dans cette façon d’écrire très libre, une trame tenue, une histoire d’amour incroyable, un regard acéré sur le monde qui marche sur la tête, je me suis dit qu’on pouvait tout se permettre dans l’écriture. J’ai ensuite adapté ce roman au théâtre, et aussi « L’Herbe Rouge » du même auteur. Le dernier coup de cœur : « Dans le jardin de l’Ogre » de Leila Slimani…
Y a-t-il un livre/auteur qui t’a poussée à prendre la plume ? Quel a été ton déclic ?
Peut-être les Claudine de Colette. J’y ai connu mes premiers émois littéraires, on pouvait donc parler de sensualité en toute liberté, d’enfance, de nature, d’amitié trouble. L’écriture de Colette m’a accompagnée comme une amie, elle me réconciliait du monde. J’avais déjà écrit avant, des histoires de chevaux, des aventures inspirées du roman « L’herbe verte du Wyoming » de Mary O’Hara, mais Colette a été un vrai flash, un tournant dans mon écriture où l’histoire n’était pas la seule direction. A douze ans, c’était la première fois que je lisais un roman vu par une jeune fille de mon âge et toutes les turbulences que cet âge implique.
Que dirais-tu pour décrire ta bibliographie ? Pourquoi avoir basculé du côté obscur de la littérature ? Était-ce seulement conscient de ta part ?
Je n’aime pas les choses lisses, j’aime plonger dans les aspects sombres, les regarder en face pour ne plus en avoir peur. Comme les monstres cachés sous mon lit qui, enfant, me faisaient si peur. Quand on les regarde en face, ils deviennent humains, tendres, bouleversants. Ils ont souvent de très belles choses à nous raconter quand on prend le temps de les regarder en face. J’aime la noirceur d’où la poésie émerge si on veut bien un peu souffler dessus. Ce côté obscur de ma bibliographie m’est apparu avec le regard des autres qui m’ont « classée » dans ce genre. Je n’en avais pas conscience avant.
De Philippe à Nadine pour ne citer qu’eux, tu nous fais rencontrer des personnages particulièrement profonds et denses, teintés de noirceur et dotés d’un véritable supplément d’âme à travers tes romans. Comment l’expliques-tu ? Quelle part y a-t-il de toi chez tes protagonistes ?
Il y a un peu de moi dans chacun des personnages de mes romans. Dans « Ô Pulchérie ! », il est question d’une famille atypique, irrévérencieuse, qui se fait accepter par un village qui s’éteignait. Leur poésie, leur liberté de vie redonne de la vie aux habitants. Philippe, dans « Les Yeux fumés », a rencontré des personnages que j’ai croisés, vit dans une ville nouvelle comme je l’ai fait. Il est mon double au masculin. Le domaine des Vignes que je décris dans « Et nous au bord du monde » a existé, j’y ai vécu. Il n’existe plus, remplacé par des constructions en béton. Nadine, c’est moi jeune, ses amis ont été les miens. J’ai la sensation qu’en les écrivant, ils ne meurent pas tout à fait. Mes rebellions, mes angoisses, mes tourments de jeunesse restent vivants lorsque je les pose sur du papier. Je me sens investie d’un devoir de mémoire pour les gens fracassés, ceux qu’on ne remarque pas, ceux qui traversent la vie en équilibriste. Je leur trouve une grandeur qui me nourrit.
Tes écrits mettent en lumière une “France périphérique” que l’on connaît peu ou que l’on ne veut pas voir. Pour quelle raison ? En quoi cela te tenait-il à cœur ?
Nous sommes tous à la périphérie des autres, me semble-t-il. Nous sommes l’étranger de notre voisin. Un qui vit à la campagne sera à la périphérie de celui qui vit à la ville et vice-versa. Celui qui a une vie rangée sera à la périphérie de celui qui souhaite s’en éloigner. Je n’ai jamais adhéré au correct, aux vies programmées pour être dans la norme. Ceux qui s’en extraient me fascinent, je les trouve forts, passionnants, libres. J’aime, dans ma vie, faire un pas de côté, prendre les chemins de traverse, m’approcher de ce qui semble transparent ou dangereux. J’y puise des personnages hors normes à qui je tente de redonner de l’humanité.
As-tu déjà une idée pour tes prochaines pages ? Quels sont tes projets littéraires ?
Mon roman : Et nous, au bord du monde, sort en poche en 2024. Pour le prochain : l’important pour démarrer un roman, c’est de trouver un lieu. Le décor de mon histoire. Une période de ma vie aussi, souvent celle de la jeunesse, du carrefour fragile du passage à l’âge adulte, des relations ambigües qui peuvent exister entre les gens. J’ai parlé des villes nouvelles, des squats ruraux, le prochain se passera à la campagne, je crois, dans un de ces villages éloignés des grandes villes où la jeunesse rêve de vivre ailleurs. Je démarre, je tâtonne, je n’ai pas de plan, je me laisse charmer par ce qui vient. Nous verrons…
Question pêle-mêle : Quel est…
– Ton livre de chevet ? « L’attrape cœur » de Salinger.
– Le livre qui cale ta bibliothèque ? « Belle du Seigneur » d’Albert Cohen, il parait qu’il faut l’avoir lu. Pour l’instant ce n’est pas le cas, il me tombe des mains régulièrement.
– Le livre que tu aurais rêvé d’écrire ? Le prochain.
– Ta lecture en cours ? « L’œil » de Claire Castillon.
Si tu devais comparer ta vie à un roman, lequel serait-ce ?
« Mes nuits sont plus belles que vos jours » de Raphaëlle Billetdoux. J’écris toujours la nuit entre minuit et cinq heures du matin quand les gens dorment, que le brouhaha du monde s’est calmé.
Un petit mot pour la fin ?
Je pense que l’écriture, même si elle n’aboutit pas forcément à un roman fini, est un médicament miracle, une porte ouverte pour y déverser les cris qui nous habitent et qu’on contient trop souvent. Ecrire un peu, chaque jour, chaque semaine, c’est comme faire couler du miel sur le tumulte de la vie. S’exprimer c’est faire sortir la pression au dehors.
Un immense merci à la charmante Nathalie Sauvagnac qui a pris le temps de répondre à mes petites questions indiscrètes, me permettant ainsi de vous la faire (re)découvrir à mon tour ! A présent je vous invite à vous précipier en librairie et plonger dans l’un de ses romans : Vous m’en direz des nouvelles !