Un roman noir et bien serré d’une douloureuse humanité : “Les yeux fumés” de Nathalie Sauvagnac, initialement paru aux éditions du Masque et désormais disponible au Livre de poche.
Le pitch : Au centre, il y a Philippe. Philippe qui vit dans une cité et passe ses journées à traîner, fumer et piquer des bières au centre commercial. Philippe, entouré d’une mère qui le déteste ouvertement, d’un père effacé qui a renoncé depuis longtemps et d’un frère aussi beau que bête. À côté, il y a Bruno, son pote baroudeur et destroy. Bruno qui raconte qu’il a fait le tour du monde et a connu les plus belles femmes, qu’il n’est là que de passage. Autour, il y a les canards du parc qui s’étouffent avec des bouts de plastique, les gamins qui crient trop fort aux pieds des barres d’immeubles, les grues et les murs qui tiennent avec les dealers.
Les petites violences du quotidien n’atteignent pas Philippe, tant qu’il y a de la bière et les histoires de Bruno pour inventer un autre horizon que celui des tours de béton. Jusqu’à ce qu’un drame vienne pulvériser son équilibre et déclenche la bombe à retardement…
Je ne connaissais pas Nathalie Sauvagnac avant d’avoir la chance et le plaisir d’animer une série de lives sur la page Facebook du site BePolar en compagnie des Louves du Polar dont elle fait partie. Parce que je mets un point d’honneur à connaître chaque plume avec qui je m’apprête à échanger à l’occasion d’une table ronde, je n’ai pas ménagé mes efforts pour rattraper mon retard et c’est ainsi que je me suis plongée sans délai dans cet ouvrage, le premier que je découvrais de cette fascinante autrice !
L’intrigue pourrait paraître simple et banale… Mais il n’en est rien et c’est ce qui fait justement toute sa subtilité, sa finesse, son émotion. Dans ce titre, Nathalie Sauvagnac met en avant cette France périphérique qu’on ne voit pas. Pire. Qu’on préfère ignorer. L’autrice y retranscrit la vie d’une cité avec un saisissant réalisme mais sans se contenter de ce que les médias peuvent habituellement relayer, au profit d’une jeunesse désœuvrée, en pleine déshérence, cherchant la lumière dans le béton.
C’est dans ce cadre gris à pleurer qu’on rencontre Philippe qui, à l’aube de l’âge adulte, n’a connu que cet univers-là. Il traîne, fume, boit, chaparde et rêve par procuration au gré des histoires de son pote Bruno, qu’elles soient vraies ou pas. A travers lui, Nathalie Sauvagnac donne la parole aux oubliés, aux errants, aux égarés qui tuent l’ennui et passent le temps dans ce quotidien où l’espoir n’est qu’illusion face à l’échec de notre société. C’est cruellement vraie et tristement beau.
Ca l’est d’autant plus que ce livre s’inscrit dans une atmosphère oppressante sans en avoir l’air et qu’il est soutenu par une écriture singulière, aussi déroutante que bouleversante, un style qui touche autant qu’il détonne.
En bref, Nathalie Sauvagnac nous offre un roman noir désenchanté doublé d’une réflexion sociale plus profonde qu’il n’y paraît… Nathalie Sauvagnac se révèle une plume unique et je remercie chaleureusement les Louves du Polar de m’avoir permis sa découverte !