Chroniques 2021 \ La carte postale d’Anne Berest

Plus qu’un livre riche et profondément humain, un récit nécessaire : “La carte postale” d’Anne Berest, paru ce 18 août aux éditions Grasset.

Le pitch : “Parmi le courrier, très ordinaire en ce début de mois de janvier, elle était là. La carte postale. Glissée entre les enveloppes, l’air de rien, comme si elle s’était cachée pour passer inaperçue.
Ce qui a tout de suite intrigué ma mère, c’était l’écriture : étrange, maladroite, une écriture qu’elle n’avait jamais vue auparavant. Puis elle a lu les quatre prénoms écrits les uns en dessous des autres, sous forme de liste.
Ephraïm
Emma
Noémie
Jacques
Ces quatre prénoms, c’étaient ceux de ses grands-parents maternels, de sa tante et de son oncle. Tous les quatre avaient été déportés deux ans avant sa naissance. Ils étaient morts à Auschwitz en 1942. Et ils ressurgissaient dans notre boîte aux lettres soixante et un ans plus tard. Ce lundi 6 janvier 2003.
[…]
A la fin du déjeuner, mes parents ont rangé la carte postale dans un tiroir et nous n’an avons plus jamais reparlé. J’avais 24 ans et la tête occupée par une vie à vivre et d’autres histoires à écrire. J’ai effacé de ma mémoire le souvenir de la carte postale, sans pour autant abandonner l’idée qu’il me faudrait, un jour, interroger ma mère sur l’histoire de notre famille. Mais les années filaient et je ne prenais jamais le temps de le faire.
Jusqu’à ce que, dix ans plus tard, je sois sur le point d’accoucher.”

Bien avant d’en connaître le résumé, c’est l’apparente simplicité de la couverture qui a attirée mon attention sur ce livre. La simplicité de son titre aussi… “La carte postale” et le dos de celle-ci avec son vieux timbre estampillé du cachet de la poste. Bien avant d’en connaître le résumé, j’étais déjà touchée par ce récit qui, je le savais, s’annonçait être une histoire vraie. Mais plus que sa véracité, c’est sa nécessité qu’il faut retenir ici.

A partir de cette carte postale, l’autrice se replonge avec sa mère dans l’histoire de sa famille. Commence alors le périple aussi romanesque que tragique des Rabinovitch, une famille anéantie par l’antisémitisme. Une famille juive d’origine russe qui traversera une partie du monde avant de s’installer en France, espérant de tout cœur trouver sa place, s’intégrer enfin dans ce monde qui ne semble pas vouloir d’eux qui n’ont pourtant rien fait… Mais nous sommes à l’aube de la Seconde Guerre Mondiale, et bientôt toute la famille sera déportée à Auschwitz, à l’exception de Myriam, grand-mère de l’autrice, qui a pu se cacher pour ensuite cacher au monde entier ces instants dramatiques de son passé.
Seulement sa fille n’a pas oublié et sa petite fille a pris le relais, pas uniquement pour retrouver l’expéditeur de cette carte postale mais pour remonter le temps et découvrir ce qu’il s’est passé, surtout pour honorer ce devoir de mémoire afin d’éviter que l’histoire et l’Histoire ne puissent un jour se répéter… Pour comprendre ce que signifie “être juif”  et ce qu’engendrent encore ces mots de nos jours.
C’est ainsi qu’on se laisse happer par ce récit, parfois douloureux mais toujours d’une incroyable justesse… C’est ainsi qu’on se laisse porter et emporter par l’autrice et sa plume d’une grande beauté, toute à la fois fluide, vive et ciselée pour la suivre dans cette quête d’identité… C’est ainsi qu’on lit cette histoire, la petite prise au piège de la grande, pour comprendre et apprendre, mais surtout se souvenir.

En bref, un livre fort prenant, fort émouvant, fort saisissant… Fort tout court.

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