Un roman noir captivant, éprouvant et engagé : “Okavango” de Caryl Férey, paru le 17 août 2023 dans la Série noire chez Gallimard.
Le pitch : Engagée avec ferveur dans la lutte antibraconnage, la ranger Solanah Betwase a la triste habitude de côtoyer des cadavres et des corps d’animaux mutilés. Aussi, lorsqu’un jeune homme est retrouvé mort en plein cœur de Wild Bunch, une réserve animalière à la frontière namibienne, elle sait que son enquête va lui donner du fil à retordre. D’autant que John Latham, le propriétaire de la réserve, se révèle vite être un personnage complexe. Ami ou ennemi ? Solanah va devoir frayer avec ses doutes et une très mauvaise nouvelle : le Scorpion, le pire braconnier du continent, est de retour sur son territoire… Premier polar au cœur des réserves africaines, Okavango est aussi un hymne à la beauté du monde sauvage et à l’urgence de le laisser vivre.
C’est à la parution de “Condor” que j’ai croisé la plume de Caryl Férey. J’ai alors découvert un “globe-trauteur” (Non, je n’ai pas fait de faute), un écrivain qui parcourt le monde avant d’en graver le souvenir, tant sur papier que sur notre rétine, un romancier aussi passionnant qu’investi, maîtrisant toujours son sujet. Depuis j’ai grandement rattrapé mon retard en sillonnant la planète au gré de sa bibliographie, de l’Amérique du Sud à la Nouvelle-Zélande en passant par l’Afrique. Et c’est justement en Afrique que l’auteur nous ramène cette fois-ci…
Si je le guette depuis sa sortie, je vous avouerai pourtant avoir eu du mal à me plonger dans cet ouvrage. Non pas parce que je craignais d’être déçue, bien au contraire. Mais seulement – et surtout – parce que je craignais d’avoir mal, tant la cruauté de mes congénères me révolte, tant la défense de la cause animale est essentielle à mon cœur comme à mes yeux. Un point commun que je partage avec Caryl Férey… Mais là où il a le courage de combattre en écrivant, je ne savais pas si j’aurais ce même courage en bouquinant. Son passage à la “Grande Librairie” m’a toutefois incitée à franchir le pas et c’est à la suite de notre échange au Mans que je suis repartie munie de l’arme fatale dédicacée…
De cette lecture, je ressors évidemment terrassée. Ebranlée. Bouleversée. Meurtrie dans ma chair et dans mon âme. Sidérée par la folie des hommes quand il s’agit de faire du profit. De cette lecture, je ressors plus encore fascinée par le talent de Caryl Férey dont il me faut maintenant essayer de vous parler.
Fidèle à ses principes, l’auteur s’est considérablement documenté, renseigné, soumis à un sidérant travail de recherche pour nous entraîner au cœur de la KaZa, vaste zone de conservation transfrontalière du Kavango-Zambèze où il installe une intrigue remarquablement prenante et bien ficelée, mais plus encore d’un réalisme à tout épreuve. Si l’enquête qui nous attend s’avère bigrement retorse, elle permet surtout d’évoquer le braconnage et l’odieux trafic qu’il entraîne. Et l’auteur n’étant pas du genre tendre et délicat, celui-ci nous arrache nos œillères pour mieux nous confronter à l’effroyable réalité, nous démontrer son humanisme et son humanité, nous révéler une colère authentique et sincère qui ne peut nous laisser indifférent, qu’on ne peut que partager.
Je palabre et pourtant je ne vous ai toujours rien raconté. Je ne vous ai pas parlé de ce contexte si bien retranscrit, de ces décors à couper le souffle si justement décrits qu’on s’y croirait, de ces personnages ambigus croqués en substance, tout en nuances et complexité. Je ne vous ai pas parlé de cette plume incroyablement fluide, visuelle et redoutablement immersive, de ce style inimitable et unique qui vous accroche dès les premières lignes, de cette tension qui ne cesse de grimper jusqu’aux toutes dernières pages. Je ne vous ai pas parlé de l’exceptionnelle maîtrise narrative dont l’auteur fait preuve. Certaines scènes sont difficiles mais rien, absolument rien n’est superflu. Quant aux animaux, l’auteur leur rend cette place qui est la leur quand il en fait des personnages à part entière.
En bref, je ne sais décidément pas rendre hommage à ce roman noir qui prend aux tripes, écrit comme un hymne au monde sauvage… Un cri du cœur plus que fascinant : Nécessaire.