Chroniques 2024 \ Peines perdues de Nicolas Lebel

Tragédie carcérale en cinq actes : “Peines perdues” de Nicolas Lebel, paru le 06 mars 2024 aux éditions du Masque.

Le pitch : Théo Pereira purge sa peine pour homicide involontaire au pénitencier Pieter Brueghel : par une nuit pluvieuse, deux ans plus tôt, il a perdu le contrôle de son véhicule et percuté un abribus où une femme s’était réfugiée. Chaque mois, le mari de la victime, Pierre Moulins, rend visite à Théo pour qu’il raconte, encore et encore, les derniers instants de son épouse, en échange d’un témoignage en sa faveur devant la commission de libération anticipée. Chaque mois, Moulins constate le délabrement de Théo dans cet univers qui le dévore et où une brute, Marco Minotti, a fait de lui son souffre-douleur. Ce que Théo ignore, c’est que, chaque mois, Moulins paye Minotti pour lui faire vivre l’enfer.
Face à ce triangle tragique formé de trois hommes qui se haïssent, trois femmes qui les aiment verront vaciller leur destin à l’heure du funeste dénouement.

Après dix ans de publication, Nicolas Lebel ne fait pas les choses à moitié. Il se renouvelle sans cesse, a mis Yvonne Chen au repos, laissé Daniel Mehrlicht en congés pour nous proposer un roman indépendant… Et nous envoyer en prison sans passer par la case départ et toucher les sous du Monopoly : Non mais je vous jure, ces auteurs de polar !

Pour son onzième roman (car n’oublions pas “Les Frères du Serment“!), Nicolas Lebel nous propose donc un thriller pénitentiaire, et sans aucun doute son roman le plus noir. Le plus poignant aussi. Où l’humour laisse place à la littérature voire à la poésie. Au gré d’une intrigue prenante et machiavélique dont lui seul a le secret, Nicolas Lebel nous surprend pourtant, tant par la forme que par le fond.
Audacieusement construit comme une pièce de théâtre, ce récit nous immerge au cœur d’un centre de détention où rien ni personne ne sera ménagé. Pas plus les personnages que les lecteurs. Vous voici avisés. Ici ne sont respectées que les lois du plus fort et du plus malin. L’essentiel n’est pas de vivre mais de survivre jusqu’à la levée d’écrou. Et nous voici incarcérés aux côtés de Théo Pereira, détenu pour homicide involontaire aggravé parmi tant d’autres voisins de cellule “moins ou moins” recommandables. Et pourtant tous d’une crédibilité à toute épreuve et profondément humains malgré l’inhumanité du lieu et des actes qui s’y produisent.
C’est ainsi que s’éveille notre empathie, à un endroit qui ne la connaît pas, malgré une tension de tous les instants et en dépit d’une atmosphère tout à la fois étouffante, angoissante et saisissante. Jusqu’à la dernière ligne. L’histoire est terriblement dure, ses personnages étoffés avec une douloureuse minutie… La violence sous toutes ses formes est omniprésente ici, mais le tout est surtout servi par une plume particulièrement belle, percutante et ciselée, rythmée par les scènes de chaque acte. Comme une bulle d’oxygène dans ce monde de brutes. Et c’est d’autant plus réussi.

En bref, Nicolas Lebel nous dresse un portrait sans fard du milieu pénitentiaire à travers ce redoutable thriller, court mais bigrement touchant.

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