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Animer des tables rondes constitue une autre occasion de découvrir de nouvelles plumes. Je ne connaissais pas Benoît d’Halluin avant de le croiser dans mon programme pour une rencontre avec Jérémie Claes au salon “Livres en fête” de Saint-Raphaël. Et c’est ainsi que je me suis plongée dans une lecture tout à la fois éprouvante et captivante, instructive et plus encore : Nécessaire. Un roman qu’il me fallait absolument vous présenter ici, à travers une chronique mais également par le biais d’une interview. En dépit d’un emploi du temps chargé, Benoît d’Halluin s’est très gentiment prêté à l’exercice et je lui en suis extrêmement reconnaissante. Ne me reste plus qu’à vous laisser en tête à tête avec ses réponses : Belle rencontre et bonne lecture !
Quel auteur êtes-vous ? Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je ne sais pas vraiment si je suis un auteur, ce n’est le domaine ni de mes études ni de mon métier et je n’ai publié que deux romans… Sinon, je suis franco-canadien né à Toronto, je viens d’avoir 40 ans, je travaille dans le marketing, dans le domaine de la beauté, et je suis rentré en France depuis un an, après avoir vécu à New York. Je travaille maintenant à Paris… Avec au moins une escale mensuelle à Nice, qui est pour moi la plus belle ville du monde.
Y a-t-il un auteur et/ou un livre qui vous a poussé à prendre la plume ? D’où vous est venue l’envie d’écrire ? Quel a été, selon vous, votre déclic ?
Je ne pense pas qu’il y ait eu un auteur ou un livre particulier. J’ai beaucoup lu étant jeune, moins à l’âge adulte, faute de temps. Au fond de moi, j’ai toujours pensé que je pourrais écrire un livre mais, comme pour beaucoup, ce n’était qu’un projet assez virtuel.
Puis, en mars 2020, j’ai attrapé le Covid de façon assez virulente à New York. J’étais parmi les premiers, j’ai dû aller à l’hôpital, j’avais beaucoup de fièvre. Et, là, alors que je délirais et suais à grosses gouttes dans mes draps, je me suis vu mourir, sans pouvoir revoir ma famille ni mes bons amis puisque les frontières étaient fermées pour les non ressortissants américains. Tout le monde était assez inquiet…
Une fois guéri, j’ai pris l’avion et me suis confiné chez mes parents en Vendée. Comme je ne travaillais pas le matin en raison du décalage horaire, j’ai commencé à écrire une histoire : un jeune garçon français percuté volontairement par un chauffard dans l’Etat de New York, et sa mère, en France, que l’on avertit en pleine nuit… Vous voyez, c’était assez autobiographique. Sans doute me suis-je dit qu’il était temps d’écrire un livre, puisque j’aurais pu mourir sans avoir vécu cette expérience.
Une fois terminé, je l’ai donné à mes amis. Ce sont eux qui m’ont poussé à envoyer mon manuscrit à des éditeurs alors que, pour moi, c’était vraiment un autre monde, je doutais même de recevoir ne serait-ce qu’une réponse personnalisée. Contre toute attente, j’ai reçu plusieurs réponses positives et j’ai choisi de publier « Une Nuit sans Aube » aux éditions XO en 2022. Le livre a rencontré son public, j’ai même été traduit, cela a été une très belle aventure.
Vous voici de retour en librairie avec « Un cri dans l’océan », un roman à l’intrigue aussi éprouvante que prenante dénonçant bien des naufrages de notre monde moderne à travers ses personnages d’un réalisme éblouissant. Dans cet ouvrage, vous vous intéressez également à l’esclavage en mer, véritable drame humain méconnu du grand public et pourtant terriblement d’actualité. Comment est né ce roman ?
J’ai toujours été très sensible à la cause des océans, bien avant d’avoir les mots pour l’exprimer. Enfant déjà, je ne comprenais pas pourquoi les poissons et autres créatures marines étaient traités avec si peu d’égards. Pourquoi étaient-ils les seuls animaux qu’on exposait avec leurs têtes au marché ou même à table ? Comme s’ils étaient privés de toute sensation ou de tout sentiment, relégués tout en bas de l’échelle de l’empathie humaine. Lorsque mes frères pêchaient, j’insistais pour qu’ils relâchent leurs prises.
En grandissant, comme tout le monde, j’ai été ému par les catastrophes écologiques et les marées noires. Je voyais l’océan tout encaisser sans broncher, tout en continuant à nous offrir l’image de plages corses ou d’îles bretonnes idylliques.
Adulte, j’ai pris conscience que l’océan est le poumon de notre planète. Il produit 50 % de l’oxygène que nous respirons, absorbe 90 % de l’excès de chaleur généré par les gaz à effet de serre, régule les cycles de l’eau, indispensables à la vie terrestre. Pourtant, il suffoque aujourd’hui sous l’effet du réchauffement climatique, de l’acidification, de la pollution et de la surpêche. Et l’opinion se préoccupe assez peu de son sort : les drames se passent surtout sous la surface, et deux tiers des océans sont des eaux internationales.
Comme Sophie dans le roman, je suis à la fois un amoureux des mers et un témoin inquiet. Comme elle, je savais que je voulais écrire un livre sur les océans mais je ne savais pas par où débuter. Un matin du printemps 2023, en me rendant au bureau à New York, alors que je parcourais le New York Times sur mon téléphone dans une rame de métro bondée, je suis tombé sur un article de 2015 détaillant les pratiques de l’esclavage en mer. J’ai été sidéré. Je ne pouvais croire que de telles atrocités existaient encore dans le monde. J’ai raté ma station et suis arrivé en retard au travail, bouleversé par ce que je venais de lire.
Dès lors, l’image de ces hommes, retenus captifs en haute mer pendant des années, ne m’a plus quitté. Je savais que je voulais faire connaitre leur histoire, raconter toutes ces morts anonymes et oubliées. Ce livre est l’écho que j’ai tenté de donner à leurs cris désespérés. J’ai aussi voulu donner une voix aux océans qui se meurent devant nous, avec pour seuls pleurs le bruit du sac et du ressac. C’est tout cela, « Un Cri dans l’Océan ».
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Nous suivons ici le quotidien d’Arun, d’abord au fil de l’intrigue puis sous la forme d’un journal dont nous lisons les extraits, nécessairement plus intimes, avec beaucoup d’émotions. Pour quelle raison avez-vous procédé ainsi ?
Alors ce n’était pas du tout prémédité. J’ai écrit ce livre à l’automne 2023 à Nice. Après avoir écrit tous les premiers chapitres sur Arun, drogué, enlevé, puis transbordé sur le bateau mère, je peinais un peu à raconter toute cette violence et cette cruauté. Je n’en n’avais plus la force. Je suis parti faire un jogging et, en courant, cette solution du journal de bord m’a sauté aux yeux. Je me suis dit que cela m’éviterait trop de descriptions et que serait à la fois moins pénible pour l’auteur et le lecteur.
En l’écrivant j’ai vu cela fonctionnait très bien, cela rajoutait même une sorte de proximité avec la souffrance d’Arun mais, encore une fois, ce n’était pas du tout l’idée initiale. De manière générale, je pars avec une idée assez précise de ce que je vais faire et, au bout d’une centaine de pages, mes personnages finissent par vraiment exister, avoir leur existence propre et je ne maitrise plus tout. Je suis obligé de les laisser vivre leur vie et j’ai l’impression que c’est moi qui me fais balader. Peut-être que je manque d’autorité !
Vous vous attachez également à mettre en lumière les ravages que causent les activités humaines sur l’océan, pourtant essentiel à notre planète comme à notre propre survie. Pensez-vous que la littérature puisse contribuer à éveiller les consciences pour cette cause qui, par ailleurs, semble particulièrement vous tenir à cœur ?
Plus que jamais. Comme je le dis souvent, c’est une chose de convaincre, c’en est une autre de persuader. Et les deux sont nécessaires. Convaincre fait appel à la raison, à des arguments logiques et des démonstrations rationnelles. Persuader fait en revanche appel aux émotions, aux sentiments et à l’imagination. La poésie peut toucher l’âme, prendre le relais quand les faits ne suffisent plus.
Bien sûr que tous les articles, les essais et les documentaires sur les catastrophes écologiques sont primordiaux mais ils ne suffisent pas à faire évoluer les comportements. D’autant que nous sommes tous inondés d’informations et d’images dramatiques H24, avec les guerres, les conflits humains. Nos cerveaux, par réflexe de survie, deviennent imperméables. Si vous regardez un reportage sur la souffrance des océans, vous changerez peut-être votre consommation de poissons, mais pas forcément dans la durée. En revanche, lorsque vous terminez un roman qui évoque le même sujet, les personnages peuvent vous habiter bien après votre lecture. Ils peuvent donc aussi vous aider à changer vos habitudes. Je dirais que les documentaires et les œuvres de fiction sont deux genres complémentaires pour amener à une prise de conscience.
Les dystopies sont nombreuses sur ce sujet mais, à titre personnel, elles me touchent moins. Quand je parlais de ce projet à mon éditeur, je lui disais que je voulais écrire un livre sur les océans qui ne soit ni un essai culpabilisateur, ni une dystopie anxiogène, mais un récit avec des personnages auxquels chacun pourrait s’identifier. Les seuls modèles qui me venaient en tête étaient ceux de « Sauvez Willy ». Je ne sais pas si j’y suis parvenu, mais c’était mon intention.
A travers le personnage d’Olivier, vous interrogez aussi la différence entre être et avoir, ce nécessaire besoin de réussir au lieu de vivre. En quoi était-ce essentiel à vos yeux d’évoquer cette question par la même occasion ?
À la suite du divorce de ses parents, Olivier est placé sous la garde de sa mère qui se sert de lui pour obtenir une revanche sur la vie qu’elle n’a pas eue. Un peu malgré lui, il devient pour ainsi dire le dépositaire de son ambition et de sa dureté. Il apprend à vouloir toujours mieux, toujours plus et reçoit de l’amour en échange de ses réussites. A son décès, il continuera à fonctionner ainsi et à chercher, dans une réussite matérielle et professionnelle, un sens que la vie ne lui donne pas par ailleurs.
Avec la disparition de son conjoint, Olivier va aussi remettre en cause ses certitudes. Lui qui ne se préoccupait ni des autres ni de l’environnement, et n’avait avec les uns et les autres qu’un rapport transactionnel, va être contraint d’évoluer. Je voulais que les lecteurs puissent s’identifier. « Un Cri dans l’Océan » est l’histoire d’un homme qui change. Sans doute que je vois beaucoup d’amis autour de moi un peu désorientés. Nous sommes une génération en quête de sens, consciente que quelque chose ne va pas dans le système capitaliste, mais qui peine pourtant à s’en détacher.
Si ce roman nous fait voyager, notre attention sera surtout accaparée par Nice et l’île d’Yeu, deux endroits qui semblent tout aussi chers au cœur de nos protagonistes qu’à leur auteur. Qu’en est-il ?
C’est vrai que l’île d’Yeu et Nice occupent une place importante dans ma vie et dans mon cœur. Lorsque j’étais enfant, nous partions toujours à l’île d’Yeu au mois d’août. C’était les années 90, il n’y avait encore que quelques voitures sur l’île, et tout se faisait à vélo. Partant du postulat de départ qu’il ne pouvait donc rien nous arriver de grave, nous étions très libres. L’île était pour nous un royaume de liberté fabuleux, que nous parcourions à vélo de long en large avec mes cinq frères et sœurs et nos amis. C’est aussi là que j’ai appris à naviguer, d’abord l’optimiste, puis le dériveur, le catamaran et enfin la planche à voile.
La découverte de Nice a été beaucoup plus tardive et inattendue. J’avais vingt-cinq ans et beaucoup d’idées préconçues sur la cité azuréenne : une ville de gens aisés et de retraités, ennuyeuse à souhait et défigurée par le tourisme de masse. En réalité, je suis tout de suite tombé sous le charme : la rencontre des montagnes et de la Méditerranée, ses différentes époques architecturales, ses parfums du Sud et ses lumières éclatantes. J’ai commencé à m’y rendre de plus en plus souvent et, pendant le Covid, je m’y suis réfugié en hiver. Et là, je suis tombé amoureux, totalement amoureux.
Il faut savoir que Nice est une villégiature qui a été conçue pour cette saison qui, là-bas, revêt une réalité tout autre, comme la décrit Olivier dans le livre. J’ai loué un appartement dans cet immeuble des Néréides, appartement que j’ai eu la chance de pouvoir acheter par la suite. Dans le livre, c’est le phare sur l’azur de Tante Marthe. Et c’est dans cet appartement que j’ai écrit ce livre à l’hiver 2023, je ne pouvais donc pas ne pas en parler.
« Chaque jour un peu plus, Olivier se fait la réflexion que le cap de Nice et le Mont-Boron ont façonné son existence bien plus qu’il n’ose se l’avouer. Quoi qu’il advienne, il en fera toujours partie. Il est de ces lieux qui ont la politesse de feindre d’ignorer que nous ne sommes que de passage. » Je ne me reconnais pas vraiment, dans aucun de mes personnages, ou alors dans les trois à la fois. Mais quand Olivier dit cela. Alors, là, oui, je suis Olivier.
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De façon plus anecdotique, on retrouve ici Marc et Alexis, personnages principaux de votre premier roman « Une nuit sans aube », paru en 2022 chez le même éditeur. Ce joli clin d’œil signifie-t-il que vos personnages vous habitent toujours ? Se pourrait-il que nous les croisions de nouveau, ainsi qu’Arun, Olivier, Sophie, Rafaël ou Juan, dans vos prochaines aventures littéraires ?
Après mon premier roman, j’ai reçu beaucoup de messages me demandant des nouvelles de Marc et Alexis. Je n’avais pas prévu d’écrire la suite (du moins pas tout de suite) mais j’ai voulu leur répondre avec ce clin d’œil. Mais oui, tous mes personnages existent toujours ! Ils sont là, quelque part, et il pourrait bien revenir un jour…
Question pêle-mêle au lecteur que vous êtes sans doute par ailleurs : Quel est…
– Votre livre de chevet ? Toujours un livre de Julien Gracq ou de Jean Cocteau.
– Le bouquin qui cale votre bibliothèque ? Ma bibliothèque ne penche pas mais, si elle penchait, je prendrais sans doute le mien car je l’ai déjà lu !
– Le roman que vous auriez rêvé d’écrire ? « De Sang Froid » de Truman Capote.
– Votre lecture en cours ? J’en ai toujours plusieurs en même temps. En l’occurrence, « Le Barman Du Ritz » de Philippe Collin, « Les Enfants du Large » de Virginia Tangvald et « Proust, Roman Familial » de Laure Murat.
Un petit mot pour la fin ? Votre roman vient juste de paraître, mais peut-être avez-vous déjà une idée pour vos prochaines pages ? Quels sont désormais vos projets littéraires ?
J’espère que ce livre va plaire et, surtout, que les lecteurs le refermeront avec un regard différent sur les océans. J’ai déjà des projets, bien sûr, mais il est un peu tôt pour en parler.
Un immense merci, cher Benoît, pour cet échange aussi passionnant qu’enrichissant ! A présent mes Bookinautes adorés, c’est à vous de bouquiner : “Un cri dans l’océan” vous attend en librairie, foncez vous le procurer si ce n’est pas déjà fait !
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