L’histoire familiale ou la possibilité d’un roman : “La Maison vide” de Laurent Mauvignier, paru le 28 août 2025 aux éditions de Minuit et lauréat du Prix Goncourt 2025.
Le pitch : En 1976, mon père a rouvert la maison qu’il avait reçue de sa mère, restée fermée pendant vingt ans.
À l’intérieur : un piano, une commode au marbre ébréché, une Légion d’honneur, des photographies sur lesquelles un visage a été découpé aux ciseaux.
Une maison peuplée de récits, où se croisent deux guerres mondiales, la vie rurale de la première moitié du vingtième siècle, mais aussi Marguerite, ma grand-mère, sa mère Marie-Ernestine, la mère de celle-ci, et tous les hommes qui ont gravité autour d’elles.
Toutes et tous ont marqué la maison et ont été progressivement effacés. J’ai tenté de les ramener à la lumière pour comprendre ce qui a pu être leur histoire, et son ombre portée sur la nôtre.
Difficile de chroniquer un roman qui m’a tant impressionnée… Dès sa sortie, j’étais intimidée par cet intriguant pavé signé Laurent Mauvignier, un auteur que je n’ai pas lu depuis une éternité mais qui a su m’envoûter dès la découverte de sa plume avec “Continuer“. En lice pour le Prix Goncourt, j’étais persuadée qu’il allait gagner, et ça n’a pas loupé ! Alors j’ai fini par franchir le seuil de “La Maison vide“, en toute discrétion et avec beaucoup de respect… Et puis je me suis laissée emporter. Mais le plus difficile, c’est encore d’en parler, tant mes mots ne sauront jamais faire honneur à ceux du romancier…
Parce que “La Maison vide” est tout… Sauf vide. Elle est pleine de mystères, de silences, de secrets, d’absences, de souvenirs, de non-dits. Elle recèle le passé d’un auteur, la vie de ses aïeux, les blessures de deux guerres, la mémoire d’une époque. Elle cache en son sein de fascinants portraits de femmes mais aussi les traces de nombreux drames et autres déconvenues. C’est en voulant comprendre le suicide de son père que l’écrivain a choisi de remonter le fil de l’histoire familiale… Et le fil de l’Histoire aussi. Ainsi nous allons rencontrer Firmin et Jeanne-Marie. Jules et Marie-Ernestine. Tant d’autres avec eux. Et puis surtout Marguerite.
Nous allons parler d’amour et constater les répercussions quand il fait défaut. Nous allons parler de liberté et constater le déclin quand elle est entravée. Nous allons parler de ce qui est tu et constater à quel point cela peut faire grand bruit. Nous allons parler de l’intimité d’un clan et comprendre à quel point cela peut impacter les générations suivantes. Laurent Mauvignier se fait ainsi l’écho d’un arbre généalogique dont il n’a que des feuilles. Dès lors il fictionne la réalité pour en retrouver toute la sève jusqu’à l’écorce… Et le romanesque a tôt fait de nous captiver, de nous embarquer, de nous transcender pour ne pas laisser le temps tout effacer. Mettre en lumière ce qui est trop longtemps resté dans l’ombre. Combler les vides pour percer à jour la vérité, ou à tout le moins tenter de la comprendre, sans pour autant dispenser maux et jugements.
Laurent Mauvignier le fait avec une émouvante pudeur et un incroyable talent, à travers des personnages inoubliables et au gré d’une plume bouleversante d’intensité, tout à la fois dense et ample, éblouissante et sensible, majestueuse et vivante.
Bien que paru en 2025, ce roman me fait l’effet d’un grand classique, de ceux qui marquent, de ceux qui résonnent et résonneront en chaque lecteur pour les années, les décennies, les siècles à venir. Les descriptions donnent le ton comme le rythme, celui-ci est lent et rappelle brillamment qu’il est important de prendre le temps de lire.
En bref, j’ai investi “La Maison vide“, j’en ai habité le texte, visité toutes les pièces et perçu l’héritage avec beaucoup d’émotions avant de m’installer devant le piano. Le piano le piano le piano…