Mes petits Bookinautes chéris… Le monde du livre, c’est une grande famille, et plus encore un travail d’équipe ! Aussi j’ai choisi, depuis quelques temps et dans la mesure du possible, de mettre en lumière les acteurs de notre univers littéraire, ces personnes essentielles à nos précieuses pages et qui, trop souvent, restent pourtant dans l’ombre. Après un organisateur de salon puis un libraire, c’est à une correctrice que j’ai la chance et le plaisir de donner la parole aujourd’hui afin qu’elle nous présente son activité, nécessaire à tout bouquin qui se respecte ! Je remercie très chaleureusement Sophie Ruaud d’avoir accepté ma proposition et vous laisse à présent découvrir ses réponses : Belle rencontre et bonne lecture !
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Sophie, 58 ans, célibataire, deux grands enfants, plus de 3500 bouquins dans ma bibliothèque, correctrice de romans.
Petite ou grande lectrice ? Quelle place tient la lecture dans ta vie ?
Très grande lectrice depuis toujours. Aussi loin que mes souvenirs remontent, j’ai toujours lu, et très tôt, parce que je savais lire à la maternelle. Je lisais sous mes draps avec une lampe électrique quand j’étais petite : des titres de la Bibliothèque rose et puis très vite de la Bibliothèque verte, des Contes et Légendes aussi – j’adorais ça. Je lisais tout ce qui me tombait sous la main, ou plutôt sous les yeux. Parallèlement aux lectures classiques du collège et du lycée, j’ai eu ma période romances, avec Barbara Cartland, ma période Agatha Christie, ma période historique (j’ai lu deux fois toute la série des Angélique), ma période SF avec les poids lourds du genre, ma période épouvante (j’ai un certain nombre de poches J’ai lu noirs). La lecture est au centre de ma vie. J’ai toujours un bouquin en cours, sur ma table de nuit, et il ne se passe pas un jour sans que je lise, même s’il s’agit parfois seulement de quelques pages.
Quel a été ton premier coup de cœur littéraire ? Et le dernier ?
Le premier, peut-être, « La confusion des sentiments » de Stefan Zweig. Ou bien « Autant en emporte le vent » de Margaret Mitchell. Ou alors « Shining » de Stephen King (LE King !). Je n’arrive pas à me souvenir lequel des trois j’ai lu en premier… Mais c’est sûrement l’un de ceux-là.
Quant au dernier… « La faille », de Franck Thilliez (pour moi, c’est le boss français dans la catégorie polar/thriller). Non, plus récemment encore : « Jeu de dames », de Nicolas Druart, qui m’a bluffée par sa maîtrise de la construction, de la narration et du suspense.
Questions pêle-mêle : Quel est…
– Ton livre de chevet ? Je n’ai pas de livre de chevet hormis ma lecture actuelle, qui change environ une fois par semaine.
– Le livre qui cale ta bibliothèque ? Aucun, mes bibliothèques tiennent très bien debout toutes seules, et quoi qu’il en soit, jamais je ne me servirais d’un livre. Ceux que je n’ai pas aimés, je préfère les mettre dans des boîtes à livres. La lecture est très subjective, et je me dis qu’ils peuvent plaire à quelqu’un d’autre.
– Ta lecture en cours ? Je viens de commencer « Je suis le feu », de Max Monnehay que j’ai eu le plaisir de rencontrer plusieurs fois. J’avais déjà beaucoup apprécié « Somb », la première aventure de son héros, Victor Caranne. Non seulement en raison de son intrigue ou de sa localisation (ça se passe vers chez moi, à La Rochelle et dans l’île de Ré), mais aussi parce que Max a un style très personnel et percutant qui confère beaucoup de force à ses romans.
Pourquoi avoir choisi de devenir correctrice ? Quelles études et/ou quelle formation as-tu suivie(s) pour y parvenir ?
Je n’ai suivi aucun cursus particulier (il n’existe pas de diplôme en France, seulement des formations de certification comme la célèbre Voltaire). Je suis juste une autodidacte qui fait ce qu’elle aime. Hormis en maths ou en physique, j’ai été une très bonne élève, j’avais surtout des aptitudes naturelles en français et j’ai suivi des études littéraires. D’ailleurs, j’ai failli devenir instit, mais pour contrer mon père, qui était un peu trop dirigiste à mon goût, j’ai suivi une autre voie : je suis devenue assistante de direction. Je suis arrivée à la correction un peu par hasard, par le biais de la bêta-lecture et à l’occasion d’un changement de vie. Alors que j’avais corrigé un manuscrit en même temps que j’en avais effectué la bêta-lecture, un auteur m’a demandé combien je lui prendrais pour corriger son livre, et c’est là que j’ai compris que je me fourvoyais depuis le début. La correction alliait tout ce que j’aimais : l’amour de la langue française, la lecture et l’écriture. J’ai commencé à mes heures perdues, j’ai beaucoup étudié et travaillé, je travaille encore régulièrement pour m’améliorer – le français est tellement complexe que ça n’en finit jamais !
Correcteur est un métier essentiel au monde du livre et pourtant bien méconnu du grand public : en quoi consiste exactement et concrètement ton activité ?
La base, c’est bien sûr corriger la grammaire, la conjugaison, l’orthographe, la syntaxe et la ponctuation, mais ça peut être aussi travailler le vocabulaire, les tournures, le style en général. Tout dépend des besoins – et des demandes – de l’auteur. Améliorer, embellir le texte devient alors une vraie collaboration, un réel partenariat, et c’est très gratifiant, même si l’on reste souvent dans l’ombre.
Que doit faire un auteur (voire un éditeur) pour solliciter tes services ? Quels sont alors tes délais ? Combien de temps consacres-tu généralement à la correction d’un ouvrage ?
J’ai une page pro sur Facebook (Correctrice-relectrice Sophie Ruaud) qui regroupe toutes mes collaborations à ce jour, mais je suis également joignable par MP sur mon profil perso ou sur Instagram. En fait, je ne travaille que par le bouche-à-oreille. La recommandation par les auteurs eux-mêmes n’est-elle pas gage de mon sérieux, de mon professionnalisme et donc la meilleure des publicités ? Il m’est arrivé d’œuvrer pour des maisons d’édition, mais je préfère de beaucoup être en relation directe avec les auteurs et éviter les intermédiaires. La plupart sont donc des autoédités ou des hybrides. Pour certains de « mes » auteurs les plus anciens et les plus prolifiques, j’ai déjà corrigé onze ou douze romans (les détenteurs des records sont Larème Debbah, Sébastien Theveny et Marc Laine). Évidemment, j’en perds de temps à autre au profit de l’édition, mais ça fait partie du jeu. J’ai toujours un petit pincement au cœur, en revanche je suis très heureuse pour eux, leur souhaite sincèrement bonne chance et me dis pour me consoler que, peut-être, j’aurai un petit peu contribué à leur succès. Mais je m’éloigne du sujet de la question. Mes délais sont de quatre à six semaines environ. Là, il se trouve que j’ai encore de la place mi-novembre, parce qu’un auteur a dû repousser son créneau à cause du retard qu’il avait pris. Quant à la durée d’une correction, c’est en fonction du roman qu’on me confie. Plusieurs facteurs rentrent en ligne de compte : la taille du texte bien évidemment (deux cents pages et quatre cents pages ne demandent pas le même temps de travail), mais aussi le degré de correction voulu par l’auteur (niveau 1, simple, ou niveau 2, plus poussé). Travailler le vocabulaire et l’expression prend beaucoup plus de temps qu’une simple correction orthographique. Généralement, je corrige un roman par semaine et en effectue une relecture la semaine d’après, mais j’ai parfois des pavés qui me demandent deux semaines de travail à temps plein rien que pour la première correction !
Corriger entraîne nécessairement une lecture « différente » : quelle est-elle ? Comment dissocie-t-on lecture personnelle et lecture professionnelle ? T’arrive-t-il de « relire » les romans que tu as corrigés ?
Effectivement, la lecture est différente : quand je chausse mes yeux de correctrice, je suis bien plus concentrée sur la forme, les mots et les phrases que sur le fond. Lors de la relecture, dans la mesure où la majorité des scories a été éradiquée, la lecture est plus fluide, plus rapide, et tout en m’attachant à repérer les dernières coquilles (en tout cas je l’espère ; n’oublions pas que nous ne sommes pas des robots) je peux poser un regard différent sur le texte. Je saisis mieux l’ensemble, la musique des phrases, l’histoire, et même si le conseil éditorial n’est pas dans mes attributions, il m’arrive de donner mon avis de lectrice sur la construction ou certains points du roman. Je les lis donc deux fois de toute manière.
Une telle profession n’impacte-t-elle pas ta passion pour la lecture ? Comment l’expliques-tu ?
Absolument pas, au contraire, je me dis que j’ai la grande chance, qui n’est pas donnée à tout le monde, de travailler dans le domaine qui me passionne depuis toute petite. C’est juste génial ! La seule chose que ça impacte, et c’est ce qui me pose un problème à l’heure actuelle, c’est l’écriture. Depuis que je suis correctrice à temps complet – et je n’ai pas le choix, puisque j’en vis – j’écris beaucoup moins. Quand j’ai passé ma journée (cinq ou six heures, parfois jusqu’à sept) à corriger, je suis fatiguée, je ne vois plus rien, je ne trouve plus mes mots, ma concentration devient compliquée et je suis donc dans l’incapacité d’écrire. J’ai envie de tout à fait autre chose, pour décompresser et reposer mon cerveau, d’aller me promener ou bien de regarder un film ou une série. En fait, c’est beaucoup trop similaire.
Question pêle-mêle : Si tu étais…
– Un genre littéraire ? Même si je lis un peu de tout – du roman noir, de la littérature blanche, du roman historique, de la SF, de la Fantasy, du fantastique, de la dystopie, de l’horreur, un peu de feel-good et même une romance de temps à autre, voire de la poésie –, je reste une grande fan de polar et de thriller.
– Un roman ? La question qui tue… Comment choisir ? J’ai eu tellement de belles lectures que c’est difficile, mais je crois que je vais arrêter mon choix sur « La nuit des temps », de René Barjavel. C’est non seulement la plus belle histoire d’amour – tragique, bien sûr, ce sont les plus poignantes – qu’il m’ait été donné de lire, mais c’est aussi de la SF et l’auteur, un très grand poète. C’est l’un des rares romans que j’ai lu adolescente et que j’ai relu adulte, juste pour voir si, malgré les années écoulées, la magie opérait toujours. Et ce fut le cas.
– Un personnage de papier ? Une femme, c’est sûr. J’adore les personnages féminins qui, malgré les problèmes, les aléas, voire les drames de leur vie, arrivent à survivre, à s’en sortir, à rebondir encore et toujours. Je pense donc tout de suite à Scarlett O’Hara, du roman « Autant en emporte le vent », ou bien à Lisbeth Salander, de la série des « Millenium ». Ce sont deux héroïnes qui m’ont fascinée et que j’ai admirées pour leur force, parce qu’elles ont évidemment des faiblesses et qu’elles ont su les surmonter.
– Un salon du livre ? J’aime particulièrement celui du Polar entre-deux-mers de Fargues-Saint-Hilaire, près de Bordeaux. Ce n’est pas le premier salon que j’ai fréquenté, mais le deuxième, et je suis allée à ses trois éditions avant qu’il ne soit malheureusement interrompu au moment du covid. Je viens d’apprendre qu’il nous revenait enfin en 2024. Cela dit, il y en a d’autres qui sont très bien, entre autres celui de Bruxelles, Iris Noir, auquel j’ai eu la joie de pouvoir me rendre l’année dernière.
– Un endroit pour bouquiner ? Dans mon lit : tous les soirs avant de dormir et souvent les dimanches matin d’hiver. Mais dès qu’il fait beau, je n’hésite pas à lire à la plage ou au bord de la piscine.
Un petit mot pour la fin ?
Je voudrais tirer la sonnette d’alarme concernant la correction, puisque c’est là le sujet de cette interview. Conseiller tout d’abord aux autoédités de se faire corriger, afin que leur travail et leurs histoires soient mis en valeur plutôt qu’entachés de fautes. Il y en a trop qui « balancent » (parce qu’il n’y a pas d’autre mot) leurs écrits tels quels. Cela est dommageable pour eux, nuit à l’ensemble des auteurs indépendants et conforte certains lecteurs dans cette idée fausse que l’autoédition est obligatoirement synonyme de travail bâclé. Il y a plein de très bons auteurs en autoédition ; certains y sont par choix et livrent des œuvres abouties et propres, parfois plus propres que dans certaines maisons d’édition. D’ailleurs, je déplore également la prolifération, survenue ces dernières années, de petites et moyennes maisons d’édition pour qui la correction est la dernière des préoccupations, voire qui l’ignorent totalement. Il en résulte des livres bourrés de fautes et mal écrits qui ne font honneur ni à leur profession ni à leurs auteurs. Admettre la présence de quelques coquilles, oui, c’est humain, se moquer totalement de ce qui devrait être évident, non !
Merci, Aurélie !
C’est moi qui te remercie, chère Sophie, d’avoir pris le temps de répondre à mes petites questions indiscrètes avec tant d’authenticité, nous permettant ainsi d’appréhender ce métier méconnu mais passionnant et indispensable à nos aventures livresques !