Livres et vous ? Livrez-vous… Avec Marjorie Tixier !

Mes petits Bookinautes adorés : C’est avec “Un autre bleu que le tien“, et sur les bons conseils de ma libraire préférée Delphine, que j’ai découvert la plume de Marjorie Tixier, il y a maintenant quelques années… S’en est suivi “A l’encre rouge” l’an dernier et cette talentueuse autrice aux multiples couleurs est de retour en librairie avec “Le Pays Blanc“, un roman que j’ai adoré et qu’il me fallait absolument vous faire découvrir, non seulement à travers une chronique publiée le jour de sa sortie, mais également à travers une interview. J’ai donc sollicité Marjorie Tixier à cette fin, et celle-ci a très gentiment accepté de répondre à mes petites questions indiscrètes, sur ce nouveau titre mais pas seulement, et je l’en remercie très chaleureusement ! Ne me reste donc plus que vous souhaiter une bonne lecture et une belle rencontre !

Quelle autrice êtes-vous ? Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
J’écris et j’enseigne en parallèle. J’aime marcher, voyager et me cultiver pour me ressourcer et trouver de l’inspiration. L’écriture est pour moi un fil conducteur qui me permet de me recentrer, de donner une trame à mon imagination afin de m’ouvrir aux autres ensuite. J’écris à la fois des romans et de la poésie, ce sont deux manières d’écrire très différentes mais indissociables pour moi.

Que diriez-vous pour décrire votre bibliographie ?
Ma bibliographie est également le reflet de ce fil conducteur que je viens d’évoquer. J’ai commencé à publier avec les éditions Fleuve en 2020. Depuis, quatre romans ont vu le jour : « Un matin ordinaire », « Un autre bleu que le tien », « À l’encre rouge » et « Le Pays blanc ». Tous ces textes sont à la fois liés autour de problématiques communes comme la reconstruction, la femme et la quête de liberté, mais chacun a son univers, son ambiance et sa tonalité. Dans « Le Pays blanc », j’ai eu envie de mêler l’histoire intime à la Grande histoire et élargir mon prisme de réflexion grâce à une temporalité longue.

Vous êtes de retour en librairie avec « Le Pays Blanc »… Notamment après “Un autre bleu que le tien” et “A l’encre rouge” : Quel rapport entretenez-vous donc avec les couleurs qui habitent vos romans ?
La couleur contient une forte charge symbolique, Michel Pastoureau l’a montré avec érudition et finesse dans ses multiples ouvrages consacrés aux couleurs. Cette façon imagée d’appréhender le monde est une source d’inspiration importante dans mon travail. Avec le bleu, j’ai voulu évoquer les bleus de l’âme autant que ceux du corps afin de les mettre sur un pied d’égalité. Avec le rouge, il était question de passion et de jalousie. Avec le blanc, j’ai investi l’espace du silence et du vide car « Le Pays blanc » est un roman qui évoque l’exil et ses conséquences sur plusieurs générations. Ces trois couleurs sont également un lien que j’avais envie de tisser avec la trilogie Bleu, Blanc, Rouge du réalisateur polonais Krzysztof Kieślowski puisque j’évoque la Pologne dans mon roman.

Tout en mêlant admirablement les temporalités, usant du présent pour mieux reconstituer le passé, vous nous offrez là une belle intrigue historique : D’où vous est venue cette idée ? Comment avez-vous travaillé cette remontée dans le temps ?
L’idée de ce roman m’est venue de ma propre histoire familiale. J’ai des origines paternelles polonaises, mes arrière-grands parents sont venus s’installer dans le Nord de la France dans les années 1920, sans doute pour travailler dans les mines, mais j’ai grandi éloignée de cette culture. Ce manque de transmission a engendré chez moi un vide qui est devenu criant lorsque j’ai passé la quarantaine. En 2018, j’ai vu au cinéma « Cold War », le superbe film en noir et blanc de Paweł Pawlikowski, et entendu la langue polonaise pour la première fois. Ce film a été un électrochoc qui m’a amenée à écouter de la musique polonaise, à lire des livres d’autrices et auteurs polonais et à commencer à apprendre les rudiments de cette langue. En 2020, j’ai découvert la peinture de Stanisław Wyspiański, un artiste brillant du mouvement Jeune Pologne qui m’a inspiré pour écrire mon roman. J’ai donc travaillé cette remontée du temps à travers le prisme de l’art qui a été mon fil conducteur (on y revient !) pour me donner le courage d’aller en Pologne en 2022 afin de confronter ma vision fantasmée de ce pays à la réalité.

Votre roman s’installe entre la France et la Pologne : Pour quelle raison avez-vous choisi cette destination pour installer votre récit ? Quel écho cela fait-il en vous au regard de notre triste actualité ?
J’avais envie d’écrire sur la Pologne depuis longtemps. De par mes origines, je me sentais proche de cette culture, sans la connaître vraiment. L’écriture m’a permis de me familiariser avec la Pologne grâce à mes lectures, au cinéma et aussi à deux voyages qui m’ont menée à Cracovie, Łódź, Gdańsk et Varsovie. J’ai senti combien la Pologne avait été un pays opprimé, étouffé, sacrifié, victime d’une histoire sanglante et douloureuse. « Le Pays blanc », c’est aussi le pays qui disparaît parce qu’il est rayé de la carte à plusieurs reprises dans son histoire. Cette souffrance m’a semblé d’autant plus palpable qu’elle se répand aujourd’hui en Ukraine. Comme les Polonais par le passé, le peuple ukrainien voit son territoire autant que sa culture bafoués et menacés de disparaître. D’ailleurs, l’Ukraine est très présente en Pologne, en particulier à Cracovie et à Varsovie où des drapeaux, des manifestations, des hommages, des collectes scandent la vie quotidienne.

A travers votre roman et sans trop en dévoiler, il est aussi question de famille, de racines… Et de gémellité : En quoi ces thématiques, dont certaines semblent récurrentes à votre plume, vous tiennent-elles à cœur ? Pensez-vous indispensable de savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va ?
En faisant des recherches sur ma famille polonaise, j’ai découvert que ma grand-mère avait une sœur jumelle dont j’ignorais l’existence. Avant d’avoir accès à cette information, j’avais déjà écrit un roman intitulé « Identité » où l’héroïne découvrait sur le tard qu’elle avait une sœur jumelle. Lorsque je me suis mise à écrire « Le Pays blanc », il était évident pour moi de commencer le récit de l’intrigue polonaise avec un couple de sœurs jumelles. Elles portent d’ailleurs le même prénom que celui que portait ma grand-mère et sa sœur. C’était une manière de rendre hommage à ces femmes que je n’ai pas ou peu connues, mais qui vivent tout de même à mes côtés depuis que je suis enfant. Sans trop savoir pourquoi, je me suis toujours sentie proche de mes origines polonaises. Je pense que nos racines, toutes méconnues ou mal connues qu’elles puissent être parfois, influent sur notre construction psychologique et émotionnelle de manière puissante, nous amenant parfois à faire des choix qui ne sont pas sans lien avec l’hérédité. Un peu comme l’a montré Zola dans son œuvre, il existe une forme de déterminisme qui peut être à la fois destructeur et bâtisseur. En écrivant ce roman, qui est une fiction, je pense pourtant avoir réactivé des émotions que je portais en moi et qui me semblaient venir d’ailleurs. Certains nomment cela la mémoire cellulaire. Je pense que l’on sait mieux où l’on va quand on sait d’où l’on vient, c’est pour cela que j’ai fini par inventer une histoire qui m’a permis de suivre mon instinct afin de combler un manque qui finissait par m’empêcher d’avancer dans ma vie.

Votre ouvrage aborde également le poids des non-dits et des secrets, avec beaucoup de finesse et de subtilité puisque nous y sommes nous-mêmes confrontés pour une immersion parfaite : Était-ce l’effet recherché ? Quel était votre objectif ?
J’ai en effet voulu laisser des blancs dans le récit, ne pas tout dire, conserver quelques personnages à l’état d’esquisse et ménager des zones d’ombre. Parce qu’il en est ainsi de mon histoire. Jamais je ne saurai ce qu’ont vécu mes ancêtres polonais et j’imagine que, dans cette lignée, beaucoup ont dû couper les ponts avec leur famille et continuer à vivre sans jamais se revoir. Je voulais que le lecteur puisse ressentir ce silence, ce vide qui est encore exacerbé par l’exil ou la guerre. Deux événements majeurs qui provoquent des déplacements, des pertes et des arrachements, mais également des destins de personnes qui repartent de zéro et doivent surmonter leurs traumatismes pour se réinventer.

On pourrait aussi dire qu’il s’agit là d’un « roman d’amour »… Un amour au sens large, qu’il soit amoureux ou amical, conjugal ou familial, légitime ou interdit… Parfois même impossible : En quoi ce sentiment se révèle-t-il essentiel à vos yeux ? Jusqu’où peut-on aller par amour ?
Ma source d’inspiration majeure pour écrire ce livre est le film « Cold War » qui met en scène une grande histoire d’amour, celle d’une jeune chanteuse profondément attachée à ses racines polonaises et d’un musicien qui l’aide à s’accomplir en tant qu’artiste. Une chanson revient comme un leitmotiv qui s’intitule « Dwa serduszka » – « Deux cœurs » – et déplore un amour impossible. La seconde partie de mon roman porte le nom de cette chanson. Je pense que l’amour est un moteur puissant dans l’existence. Il naît souvent d’un profond désir de se renouveler, de grandir, d’explorer une facette de nous-même que l’on ignore encore mais que l’on reconnaît dans l’autre. L’amour permet de dépasser toutes sortes de limites et de déplacer les lignes toutes tracées que l’on pensait être les nôtres. Il permet également de créer et de vivre plus intensément.

La culture se révèle très présente tout au long de ce livre… Avec une place toute particulière accordée à l’art, comme catharsis ou exutoire : Pour quelle raison avez-vous choisi de souligner cet aspect ? L’art pourrait-il sauver de tout selon vous ?
Si l’art ne sauve pas de tout, il cautérise. Il sert aussi de refuge car la création permet de combler les blancs. Ecrire un livre, peindre un tableau, coudre un vêtement, c’est toujours mettre au monde la meilleure version de soi qui cherche à se comprendre et à se situer dans la société qui nous façonne. C’est aussi un moyen de dialoguer à travers les époques. La peinture de Wyspiański, artiste polonais du début du XXème siècle, galvanise Thomas qui cherche un nouveau souffle dans sa création et va aller puiser dans la simplicité du trait du maître pour se renouveler en tant qu’artiste. En ce sens, l’art peut tenir lieu de racines au même titre qu’une famille, car il transmet et nous donne envie de mettre notre pierre à l’édifice.

« Le Pays Blanc », c’est un titre simple sur une couverture simple… Sans pour autant manquer de profondeur et d’intensité, à l’image de votre plume : En aviez-vous seulement conscience ?
Je ne me suis pas formulé les choses ainsi, mais cette idée me plaît. Elle fait écho à mon besoin d’épure et d’humilité par rapport au travail de mémoire que j’ai entrepris pour écrire ce roman. Je suis partie de rien, mes connaissances sur la Pologne étaient à ce point dérisoires que j’en avais honte, mais j’ai appris à surmonter ce sentiment négatif qui m’a longtemps paralysée pour m’approcher, à ma manière, de ce pays dont j’ignorais tout. La couverture rend hommage à la Pologne de manière symbolique avec le rouge et le blanc. Le personnage se trouve à la croisée des chemins, sur une ligne de fracture qui peut faire penser à une cicatrice. Car tout arrachement laisse une trace indélébile, comme tout grand amour reste gravé tel un tatouage. Enfin, ce roman évoque la liberté sous toutes ses formes et il me semble essentiel de la transmettre à mes lecteurs en leur proposant un titre qui puisse leur permettre de s’identifier quelles que soient leurs origines.

Question pêle-mêle à la lectrice que vous êtes par ailleurs : Quel est…
– Votre livre de chevet ? « Les Fleurs du mal » de Charles Baudelaire.
– Le bouquin qui cale votre bibliothèque ? « Le Grand Meaulnes » d’Alain Fournier.
– Le roman que vous auriez rêvé d’écrire ? « Belle Greene » d’Alexandra Lapierre.
– Votre lecture en cours ? « Les chutes » de Joyce Carol Oates.

Un petit mot pour la fin ? Quels sont désormais vos projets littéraires ?
D’abord, j’ai à cœur d’aller parler du Pays blanc aussi loin que possible, et pourquoi pas en Pologne, car il me tarde d’y retourner ! Et en parallèle, un nouvel univers s’installe dans mon esprit qui décante à son rythme. Quand il sera prêt, je retournerai à la page blanche…
Merci Aurélie pour cette agréable interview et longue vie à votre blog.

C’est moi qui vous remercie, chère Marjorie, pour cet échange passionnant, nous permettant de remonter jusqu’aux origines de votre nouveau roman tout en vous découvrant davantage ! A présent mes Bookinautes adorés, c’est à vous de bouquiner : “Le Pays Blanc” n’attend plus que vous si vous ne vous y êtes pas encore aventurés !

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