C’est dans le cadre du salon des Livres dans la Boucle de Besançon que j’ai découvert la plume de Justin Morin en septembre dernier. Auteur d’un premier roman intitulé “On n’est plus des gens normaux” mêlant habilement fiction et réalité, cet auteur m’a passionné et touchée dans son rapport au réel et sa façon d’aborder un drame qu’il a couvert en sa qualité de journaliste. Si j’ai déjà eu l’occasion d’interroger Justin sur cet ouvrage à l’occasion d’une table ronde, il me tenait à cœur de vous le faire découvrir à vous aussi, mes chers Bookinautes. Aussi c’est avec plaisir que j’ai vu ce sympathique auteur se prêter (de nouveau ^^) au jeu de mes petites questions indiscrètes. Je vous laisse donc faire plus ample connaissance avec celui-ci : Belle rencontre et bonne lecture !
Quel auteur es-tu ? Pourrais-tu te présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Justin Morin, j’ai 34 ans, et je viens de publier mon premier roman. Je suis aussi journaliste, je travaille pour l’émission « Les pieds sur terre » sur France Culture, c’est une émission de récits et de reportages sans commentaire où les personnes interviewées racontent des histoires qui leur sont arrivées. Je vis et travaille à Paris, mais je reste très attaché à la Seine-Maritime, le territoire où j’ai grandi.
Auteur… Mais avant tout lecteur : Quel rapport entretiens-tu avec la lecture ?
Je lis beaucoup, principalement le soir, quand mes deux jeunes enfants sont couchés, et à peu près de tout.
Question pêle-mêle : Quel est…
– Ton livre de chevet ? « À la recherche du temps perdu » de Marcel Proust, j’y reviens de temps en temps, c’est l’expérience de lecture qui m’a le plus marqué et qui m’a le plus donné envie d’écrire.
– Le bouquin qui cale ta bibliothèque ? Aucun, je me débarrasse rapidement des livres que je n’ai pas aimés pour ne plus les voir.
– Le roman que tu aurais rêvé d’écrire ? Toute la « Recherche » et la saga « Harry Potter » de JK Rowling.
– Ta lecture en cours ? « Amiante », de l’auteur québécois Sébastien Dulude, je l’ai rencontré dans un festival littéraire et il m’a donné très envie de lire son texte.
Tu as couvert de nombreux faits divers en ta qualité de journaliste. Pourtant le drame de Sept-Sorts semble t’avoir davantage marqué puisqu’il est précisément le sujet de ton premier ouvrage « On n’est plus des gens normaux », paru en août 2024 à La Manufacture de Livres. Qu’est-ce qui t’a poussé à te lancer dans l’écriture, romanesque qui plus est ? Quel en a été l’élément déclencheur selon toi ?
L’élément déclencheur, c’est d’abord un procès que j’ai couvert en 2021. C’est celui d’un homme qui a foncé sur la terrasse d’une pizzeria, sans raison apparente. Angela, une adolescente de 13 ans, meurt sur le coup. Pendant l’audience, je suis marqué par la force et l’amour qui se dégagent de sa famille, et notamment de ses parents, Betty et Sacha, qui sont deux des protagonistes du livre. Je me demande comment on peut continuer de vivre après la perte d’un enfant, moi qui viens d’en avoir un quand je couvre ce procès. Je suis aussi touché par le récit de la sœur du criminel parce qu’elle ne l’abandonne pas, malgré tout le mal qu’il a fait. Qu’est-ce qui anime cet acte de loyauté suprême envers son frère ?
Cela étant, le texte tel qu’il existe aujourd’hui est le résultat d’un cheminement littéraire, parce que je n’ai pas pu écrire tout ce que j’aurais aimé écrire. Cette femme, la sœur du criminel, n’a pas souhaité participer au projet. J’ai dû composer avec cette absence. Cela m’a emmené autre part, cela m’a permis d’explorer d’autres territoires auxquels je ne m’attendais pas forcément. À l’arrivée, il me semble que ce cheminement ajoute une strate de lecture, de la complexité au texte.
A travers ce livre et aux côtés de Betty, Sacha et leurs enfants, tu interroges la notion de victime dans tout ce qu’elle a de complexe, entre besoin de reconnaissance et droit à l’oubli, entre sentiment de culpabilité et volonté de reconstruction. Que peux-tu nous en dire ? Que t’a appris l’écriture à ce sujet ?
Tout est dans la question. Ce sont des sensations que j’avais déjà perçues dans d’autres affaires, lorsque j’avais interviewé d’autres victimes. Cette fois, j’ai pu m’entretenir sur le temps long avec Betty et Sacha, et aller beaucoup plus loin, je crois, dans la restitution de ce qu’ils ont pu traverser. Dans ma pratique journalistique, cela me manquait parce que tout allait trop vite. J’ai essayé de rester le plus fidèle possible à leur parole et à leur ressenti. Dans toute cette partie du livre, il a fallu trouver la bonne distance, mettre l’écriture au service du réel et non l’inverse. J’ai beaucoup coupé avant d’arriver à la version finale.
Loin du simple essai documentaire dont tu aurais pu te contenter, tu nous proposes un ouvrage hybride, bien plus vibrant et complet, en partie fictionné pour ce qui concerne la sœur de l’accusé, accordant ainsi une place toute particulière à la famille dans ce qu’elle a de solidaire, de soutenant, de loyal. En quoi cela te tenait-il à cœur ?
Je n’en avais pas forcément conscience au départ, mais si ce fait divers, et ce procès en particulier, m’ont autant marqué, je crois que c’est pour ce qu’ils révèlent quant à la puissance des liens familiaux, au sein de la famille d’Angela, comme dans celle du criminel. J’ai eu la sensation que ces liens, nourris depuis l’enfance, pouvaient autant unir que soumettre, c’est ce que j’écris au milieu du livre. Et au moment de ce procès, tout est tellement exacerbé ! Cela saute aux yeux. Aller au bout de ce cheminement littéraire dont je parlais plus tôt, c’était aussi questionner le rapport que j’entretiens avec ma propre famille, et en particulier avec mes frères. C’est ce que j’ai essayé de faire, par petites touches.
« J’ai transporté et je transporterai toute ma vie quelque chose qui leur appartient, quelque chose de précieux. Écrire ce qu’ils m’ont confié, c’était tenter d’en être digne, toujours, pour à l’arrivée ne pas l’être tout à fait. Rien ne pourra leur épargner la peine causée par la coexistence de leur récit avec un autre, ennemi par n’autre et haï par besoin, par nécessité de survie ». Comment expliques-tu ressentir cela ? Ce livre a-t-il été lu par ses « protagonistes » ? Qu’en ont-ils pensé ?
Les parents d’Angela ont lu le texte avant sa publication, c’était indispensable. Même s’ils ont donné leur accord, Betty et Sacha ont toujours autant de mal à accepter la troisième partie fictionnelle, qui concerne la sœur du criminel. Et je peux le comprendre. Le livre parle de leur famille, de leur fille, mais pas uniquement. Je n’ai pas écrit le texte qu’ils auraient aimé que j’écrive. À partir de là, je ne pouvais que les décevoir, en partie, et j’ai dû l’accepter.
Quant à la sœur du criminel, elle a lu la partie du texte qui la concerne, que j’ai dû modifier après l’avoir rencontrée, à sa demande. Je raconte ce processus dans le livre. Cet été, je l’ai informée que le livre allait être publié à la rentrée. Elle m’a simplement remercié de l’avoir prévenue.
Ton livre vient de paraître… Mais as-tu déjà une idée pour de prochaines pages ? Quels sont désormais tes projets littéraires ?
Oui, j’ai une idée, je suis en train de me documenter, mais je n’ai pas beaucoup de temps à y consacrer. Avec ma compagne, nous venons d’avoir un deuxième enfant et il requiert encore beaucoup d’attention !
Si tu devais comparer ta vie à un roman, lequel serait-ce ?
Je cale…
Un petit mot pour la fin ?
Merci ! 😊
Merci à toi d’avoir si gentiment accepté de m’accorder cet petite interview ! A présent mes Bookinautes adorés, c’est à vous de bouquiner : “On n’est plus des gens normaux” n’attend plus que vous en librairie, saisissez donc cette opportunité de découvrir une nouvelle plume à travers la littérature du réel si vous ne l’avez pas encore fait !