Livres et vous ? Livrez-vous… Avec Jérémie Claes !

Mes petits Bookinautes adorés, si la Gazette du Lecteur a tiré sa révérence le 31 mai dernier, c’est avec un bonheur immense que je poursuis les interviews, en reprenant dès aujourd’hui les échanges avec les auteurs dont j’apprécie tout particulièrement la plume. Moi qui avais déjà tant apprécié “L’Horloger“, paru aux éditions Héloïse d’Ormesson l’an dernier, je ne pouvais décemment pas manquer d’interroger Jérémie Claes après ma lecture du “Commandant Solane“, publié chez le même éditeur en février, mon premier grand coup de cœur de l’année. Je le remercie très chaleureusement d’avoir pris de son temps pour répondre à mes petites questions indiscrètes et vous laisse à présent en tête à tête avec ses réponses : Belle rencontre et bonne lecture !

Quel auteur es-tu ? Peux-tu te présenter en quelques mots ?
J’ai toujours été fasciné par les mots, et même plus que ça : habité. Je les vois danser devant mes yeux, perpétuellement. J’ai toujours écrit, depuis que je sais écrire. J’en ai fait mon métier, à vingt ans, en écrivant des pièces de théâtre. Puis, je me suis « égaré » dans le vin. J’ai continué à écrire, dans la presse cette fois, mais la fiction m’est indispensable, et l’idée d’écrire enfin un roman, ce qui a toujours été mon graal, est devenu obsessionnelle, jusqu’à ce que j’arrête enfin tout ce que je faisais pour accomplir mon rêve.

On t’a découvert l’an dernier avec “L’Horloger”, un thriller… Pour le moins original et audacieux, atypique et singulier. D’où t’est venue cette idée ? Quel a été ton déclic pour prendre la plume ?
Je traînais l’idée de la fin depuis vingt ans. Elle ne me quittait pas. Mais c’est l’arrivée de Donald Trump au pouvoir qui m’a donné l’impulsion. J’ai été fasciné, inquiet, en colère. De bons moteurs de création, je dirais. Et puis, j’ai lu des thrillers, du fantastique et de la science-fiction toute mon enfance et mon adolescence. Et même si, à présent, j’ai des lectures beaucoup plus variées, le « genre » a été mon berceau, il a infusé mes neurones et le romancier que je suis devenu.

Sans parler d’une suite, te voici de retour en librairie avec le “Commandant Solane”, un excellent polar reprenant certains des personnages croisés dans ton premier ouvrage, dont celui qui affiche son nom pour titre : Pourquoi ceux-ci plutôt que d’autres ? Avais-tu déjà ce projet en écrivant “L’Horloger » ?
Pas du tout. J’avais l’idée de départ, la scène inaugurale de la plage, mais le fait d’y inclure Solane est venu après la sortie de “L’Horloger“. J’ai tellement aimé ce personnage, et la personne qui l’avait inspiré, que j’ai voulu continuer de le fréquenter, en quelque sorte. Pour les autres, c’était une question de cohérence : sachant que “Commandant Solane” se déroule deux ans après “L’Horloger“, et dans le même village, qui est resté au patelin, qui en est parti ? C’était une forme de continuité dans mon univers naissant. Pas impossible que je continue à procéder de la même manière : garder une forme de lien entre chacun de mes romans, même si ce ne sont pas des suites à proprement parler.

Pour autant, tes deux livres se révèlent très différents l’un de l’autre : Comment l’expliques-tu ?
C’était très volontaire. Après “L’Horloger“, qui est très romanesque et épique, qui se déroule sur plusieurs continents et époques, j’ai eu envie de faire un roman très resserré, compact, percutant. Un polar un peu à l’ancienne, très politique et énervé. Je le voulais comme un uppercut dans la gueule, pour réveiller, si possible, nos consciences, et me défouler sur l’extrême droite, que j’avais envie de combattre frontalement, si j’ose dire. Les mots, ce sont mes poings, dans ce roman.

Ton roman se révèle d’autant plus bouleversant qu’il s’inspire de faits réels : Comment en as-tu eu connaissance et qu’est-ce qui a motivé chez toi ce besoin d’en parler ? Peux-tu par ailleurs nous parler de ton travail de recherche et de documentation à ce sujet ?
Ma première source a été ma rencontre avec un jeune réfugié qui m’a beaucoup ému. C’est un garçon formidable, solaire, et qui avait traversé l’enfer. J’ai eu envie de rendre hommage à son courage. La deuxième impulsion est venue de mon indignation par rapport à la manière dont l’Europe laisse proprement se noyer des êtres humains, en envisageant ces drames de façon très technocratique. Je ne peux pas le comprendre, ça. La vie humaine est sacrée, à mes yeux, l’entraide et la solidarité le sont aussi. Plus que de documentation, mon travail s’est composé d’interviews. J’ai bossé comme un journaliste (ma formation, d’ailleurs). J’ai interrogé le réfugié dont je parlais, longuement, et puis des membres d’associations d’aides aux migrants, mais des flics, aussi. Je ne voulais pas être manichéen. J’ai aussi compulsé les archives des journaux, les témoignages des Africains qui avaient traversé la mer, celles de SOS Méditerranée, aussi. Un boulot qui m’a à la fois vraiment passionné et profondément désespéré.

La fiction aurait sans doute pu te permettre d’installer ton histoire n’importe où, et notamment en Belgique, pourtant tu as choisi le Sud de la France, et plus particulièrement la vallée de la Roya et le petit village de Gourdon. Pour quelle raison ?
Je n’écris pas sur la Belgique. J’y vis, elle fait partie de mon quotidien, et j’ai besoin d’un peu de distance pour créer, pour inventer. Mais je veux parler de ce que je connais. Hors, ma grand-mère est née à Gourdon, et ce village représente la moitié de mes racines. Je voulais aussi que se confrontent deux mondes : l’un, qu’on connaît bien, celui de la Côte d’Azur, avec l’image de glamour qui s’en dégage, et l’autre, celui de la réalité beaucoup plus crue, et de la tragédie profondément déchirante de la migration. Et puis, au-delà de tout ça, le 06 a aussi toujours été une terre d’élection pour le Front et le Rassemblement National, que je voulais condamner aussi. C’est là-bas qu’est né Génération Identitaire, par exemple, le groupuscule que j’évoque dans “Commandant Solane“.

A coup sûr, ton intrigue ne serait pas si poignante, si touchante, si révoltante sans les personnages qui l’animent : Peux-tu nous présenter Bernard Solane et Victor Daumergue, mais aussi Moussa et Jasmine Rivière ? Comment ceux-ci se sont-ils invités dans ton imaginaire ?
Ils existent tous les quatre. Solane était l’un de mes meilleurs amis, décédé hélas très récemment. C’était un ancien vigneron du Minervois échoué à Bruxelles. Un type formidable qui a été mon père spirituel et « spiritueux ». Daumergue, qui vit toujours, a été son mentor. Leur relation, je la décris fidèlement, telle qu’ils l’ont vraiment vécue. Moussa, je vous l’ai raconté. Et pour Jasmine, je m’inspire (très librement) de Cédric Herrou, l’activiste de la Roya qui est venu en aide à des centaines de réfugiés.

Tu as choisi de nous relater l’histoire et le parcours de Moussa à travers des flashbacks tout au long de ton récit. Pourquoi avoir opté pour cette structure narrative ?
Il fallait que je sois le plus respectueux, le plus fidèle possible, à l’histoire qu’avait vécue Moussa dans la réalité. Pour tous, d’ailleurs, c’est la même histoire. Je ne pouvais pas trahir leur souffrance, et donc leur récit, que je devais détacher distinctement du reste, même s’il fait finalement partie de ma narration. Pareil pour Auschwitz dans “L’Horloger” : j’avais le devoir d’être le plus juste, le plus précis possible. Je ne voulais pas trahir la mémoire des victimes.

Les pouvoirs politiques ont une place importante dans ton récit mais ce que tu nous apprends n’est guère rassurant, bien au contraire. Saurais-tu expliquer cette inaction voire cette nuisance ? Est-ce la raison pour laquelle tu as choisi de faire agir tes personnages là où personne ne bouge ?
Les Alpes Maritimes ne sont qu’une cristallisation de tout ce qui se passe en Europe. Rien ne bouge. Pourquoi ? Parce que le sujet de l’immigration est intouchable pour les politiques. C’est leur « mine d’or » électorale. C’est le fond de commerce de l’extrême droite, évidemment, mais aussi celui des partis traditionnels, de plus en plus. Il y a là un cynisme auquel je ne me fais pas. La volonté de se faire élire dépasse l’idée de la solidarité. C’est inhumain à mes yeux.

Si ton livre nous happe et nous captive dès les premières pages et jusqu’à la dernière ligne, c’est non seulement pour la tension à laquelle tu nous soumets, mais aussi pour la lumière qui s’en dégage malgré la noirceur du propos. En avais-tu seulement conscience ? Est-ce là un acte prémédité de ta part ?
Un peu des deux. C’est d’abord naturel chez moi. Je suis tourné vers la vie, l’espoir et la joie. Et puis, à cette époque, ça devient un crédo, la seule manière efficace de lutter contre la noirceur, l’obscurantisme, et le désespoir. Concrètement, aussi, mes thématiques sont assez sombres, et j’ai voulu y mettre de la lumière, y opposer un peu d’amour et d’amitié. Et de pinard !

Quelle part de toi y a-t-il dans ton récit ? Se pourrait-il que Solane et le Busard te doivent un peu de leur caractère gouailleur et bon vivant, de leur appétence pour les grands crus et les savoureux festins, et plus encore de leur profonde humanité ?
Ils ne me doivent rien. C’est eux qui m’ont tout appris. Si je leur ressemble un peu, c’est parce que ce sont eux qui m’ont éduqué.

Un petit mot pour la fin ? Quels sont désormais tes projets littéraires ?
Je suis en pleine écriture de mon troisième roman. Ça avance bien. Pour celui-ci, je délaisse momentanément mon combat, mon engagement, parce que j’ai eu envie d’un peu de poésie, et d’une vraie respiration. Ce sera donc de nouveau un thriller, mais sans doute plus atypique encore que les précédents.

Cher Jérémie, je te remercie vivement pour cet entretien particulièrement passionnant, nous permettant ainsi de découvrir ta plume, ton univers et tes romans. Il me tarde déjà de te retrouver en librairie, même si je sais qu’il va me falloir patienter encore un peu ! En attendant, mes Bookinautes chéris, je vous invite à vous plonger dans les livres de Jérémie Claes si vous ne l’avez pas encore fait… Car vous voici bigrement chanceux : De grandes heures de lectures vous attendent !

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