Oh misère… J’ai décidément l’impression de courir après le temps ces derniers temps… Toujours à la traîne, sans cesse en retard… Et pourtant “Je n’ai jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture n’ait dissipé” comme le disait si bien Montesquieu… Et quand on est à plusieurs : C’est encore mieux !
C’est en effet le principe même d’une lecture commune, et je suis particulièrement ravie d’avoir pu initier cette nouvelle rubrique à la rentrée en compagnie de mes acolytes préférés : J’ai bien sûr nommé ma maman Roseline, ma meilleure amie Laura, mon compagnon Franck et ma chère collègue Françoise, une nouvelle fois embrigadés dans mes folles tribulations littéraires, pour le meilleur comme pour le pire, mais en tout cas pour lire ! En rang deux par deux comme à l’école, chaque duo va ainsi se joindre à moi un mois sur deux pour vous parler d’un bouquin sélectionné par nos soins pour une chronique à six mains !
L’idée est simple, l’objectif est clair, le bouquin est prêt, ne perdons pas plus de temps et laissez-moi donc rejoindre Françoise et Franck pour vous parler ce mois-ci du roman “Ecoutez nos défaites” de Laurent Gaudé, paru chez Actes Sud en 2016 et désormais disponible au format poche dans la collection Babel.
Le livre dans ses moindres détails…
Format lu : Grand format – 281 pages
Résumé : “Il a mené des opérations pour les renseignements français de Bamako à Genève, de Beyrouth à Tanger. Aujourd’hui, Assem Graleb est fatigué. La mission qu’il accepte est peut-être la dernière : retrouver un ancien membre des commandos d’élite américains soupçonné de divers trafics. A Zurich, Assem croise Mariam, une archéologue irakienne qui travaille dans la zone dévastée du Moyen-Orient. En une nuit, tous deux partagent bien plus que quelques heures d’amour. En contrepoint de cette rencontre, le récit fait retentir le chant de trois héros glorieux : le général Grant écrasant les confédérés, Hannibal marchant sur Rome, Hailé Sélassié se dressant contre l’envahisseur fasciste. Mais quand une bataille se gagne au prix de vies fauchées, de corps suppliciés, de terres éventrées, comment prétendre qu’il s’agit d’une victoire ? Ecoutez nos défaites compose une épopée mélancolique et inquiète qui constate la folie des hommes et célèbre l’émotion, l’art, la beauté – seuls remèdes à la tentation de la capitulation face au temps qui passe“
Incipit : “Tout ce qui se dépose en nous, année après année, sans que l’on s’en aperçoive : des visages qu’on pensait oubliés, des sensations, des idées que l’on était sûr d’avoir fixées durablement, puis qui disparaissent, reviennent, disparaissent à nouveau, signe qu’au delà de la conscience quelque chose vit en nous qui nous échappe mais nous transforme, tout ce qui bouge là, avance obscurément, année après année, souterrainement, jusqu’à remonter un jour et nous saisir d’effroi presque, parce qu’il devient évident que le temps a passé et qu’on ne sait pas s’il sera possible de vivre avec tous ces mots, toutes ces scènes vécues, éprouvées, qui finissent par vous charger comme on le dirait d’un navire.”
Verdict de mes acolytes…
Parce qu’il avait déjà lu et apprécié le roman “Le Soleil des Scorta” récompensé du Prix Goncourt en 2004, c’est avec plaisir que Franck s’est plongé dans ce roman de Laurent Gaudé, qui signe selon lui un roman puissant, dense, mélancolique et poétique…
Un livre sur le temps tout d’abord, dans lequel quatre époques s’entremêlent et construisent le récit : L’Antiquité avec la guerre entre Hannibal et Rome, la Guerre de Sécession, la deuxième guerre italo-éthiopienne et enfin le terrorisme islamique à l’époque contemporaine. Un temps qui est ici comme un continuum qui nous traverse, nous lie aux époques précédentes d’après Franck.
Mais un texte qui questionne aussi le sens des conquêtes à travers les notions de victoire et défaite… Défaite qu’il oppose à l’échec, en ce que la défaite nous est commune à tous, qu’elle fait partie du cycle de la vie, et qu’on peut la réussir et la transformer en victoire, en la regardant en face pour la vivre de manière libre et heureuse.
Au final, Franck pense que l’auteur nous incite ici à une certaine forme de stoïcisme. Il embrasse les convulsions d’un monde en feu menacé par la destruction et l’asservissement, s’interroge sur le sens de l’histoire et affirme que, face à la violence du monde, l’art, la beauté, l’amour et la liberté peuvent sauver une vie. Alors “ne laissez pas le monde vous voler les mots” retenait Franck, autrement dit : refusez la paralysie et continuez à mettre des mots sur les maux : Voilà qui est bien dit !
Chez Françoise aussi le commentaire se veut riche et élogieux, car elle a pu trouver entre ces pages une longue méditation de l’auteur sur la vanité des choses, des combats perdus ou gagnés… En convoquant trois figures historiques que sont Hannibal, Hailé Sélassié et le Général Grant, il évoque leur destin et s’interroge sur les vrais vainqueurs et les vrais vaincus… Car si Carthage a été détruite, elle a su renaître de ses cendres tandis que l’Empire Romain a sombré… Si l’empereur d’Ethiopie a été battu par Mussolini, on se souvient encore de son discours devant la SDN où il a dénoncé l’inertie des puissants… Et Grant est sorti vainqueur des combats contre le Sud esclavagiste, mais au prix de combats si cruels qu’ils ont perdu tout sens…
A bien y réfléchir, les trésors qu’on exhume, les objets transmis ou enfouis depuis des siècles, constituent sans doute la victoire réelle de l’humanité, de son âme même au-delà des faits d’arme…
En d’autres termes, Françoise a vraiment beaucoup aimé ce livre, magnifiquement écrit, pour le voyage entre passé et présent qu’il lui a offert, pour sa réflexion sur le sens des choses aussi, et surtout le respect de la vie, au-dessus de tout…
Et votre blogueuse dans tout ça ?
Si je me suis quelque peu perdue parmi les propos de mes acolytes, il n’en reste pas moins que nous en sommes arrivés au même verdict : C’est un texte exigeant, mais surtout dense, enrichissant et magnifique que l’auteur nous livre ici !
Ce dernier nous emmène ainsi à la rencontre de personnages historiques fort différents mais qui nous offrent, bien malgré eux j’en conviens, la même morale de l’Histoire dans cette histoire : Quel est le sens d’une victoire ? Celui d’une défaite ? Une victoire peut-elle justifier autant de morts, de sacrifices, de privations, d’abandons ? Et le constat reste finalement le même : La victoire est une notion bien relative quand on sait qu’à chaque victoire il y a une défaite, et que l’essentiel n’est pas tant l’une ou l’autre, mais bien ce que vous en faites… Dès lors une victoire à un prix trop élevé peut finalement coûter trop cher au vainqueur qui en devient perdant…
Le mot de la fin…
S’il s’agit là d’un texte nécessitant une attention toute particulière pour en percevoir toute la beauté, toute l’intérêt, force est de constater qu’il a su faire le bonheur de trois lecteurs passionnés ! Alors n’attendez plus !