Vous en conviendrez mes Bookinautes adorés : Quand on confie une île à un auteur de littérature noire, qu’elle soit au soleil ou sous la neige, il y a fort à parier qu’il y commettra un crime de papier et transforme ainsi ce petit coin de Paradis en Enfer redouté… Pour vous le prouver, j’ai sollicité Johana Gustawsson et Christos Markogiannakis, lesquels nous emmènent respectivement en Suède et en Grèce à travers deux excellents romans, “L’île de Yule” et “Qui a tué Lucy Davis ?“. Ils ont accepté de vous en parler à l’occasion de cette double interview et je les en remercie vivement : Bonne lecture et belle découverte !
Quelle autrice es-tu ? Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je suis un une autrice de polar, maman de trois vikings, encore assez « mini » et tout aussi énergiques que leur mère (malheureusement). Marseillaise d’origine valencienne, je vis bien loin de mon soleil provençal, en Suède, sur une île du nom de Lidingö.
Quel auteur es-tu ? Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Kalimera / Bonjour ! Je suis un auteur Grec qui écrit des récits sur le crime dans l’art et des romans policiers du genre whodunit (des énigmes policières) à la Agatha Christie. J’ai fait des études de droit et de criminologie à Athènes et à Paris, je travaillais comme avocat pénaliste en Crète, maintenant j’utilise mes expériences et surtout mes connaissances sur la psychologie criminelle pour mes livres. Je suis d’abord lecteur et puis écrivain, donc pour moi c’est indispensable d’être franc avec mes lecteurs : je ne « triche » pas quand j’écris mes intrigues. Quelqu’un peut aimer ou détester mon style, mais la boucle est toujours bouclée à la fin, d’une façon construite et cartésienne.
Pourquoi avoir choisi de nous entraîner sur l’île de Storholmen dans ce nouveau roman ? Peux-tu nous en offrir une petite visite guidée ?
En fait, l’ancien propriétaire de la maison que nous avons achetée sur l’île de Lidingö, à l’est de Stockholm, avait laissé quelques meubles, dont une magnifique coiffeuse datant du XVIIème siècle avec son lot de trois brosses en argent. Lorsque je déballais mes cartons, Alexander, un de mes jumeaux déguisé en pirate, a fait tomber la brosse. Mon amie Eva, qui nous aidait à emménager, l’a ramassée et elle l’a tendue à Alex en disant : « Je ne crois pas qu’il y ait de carte au trésor là-dedans… Mais peut-être un SOS ? » a-t-elle ajouté en me regardant. La première graine était plantée ! Suit, quelques jours plus tard, une visite de mon amie Anna, habitante de longue date à Lidingö, qui me demande si je vais enfin écrire sur Stockholm et son archipel et me dit : « Je vais peut-être te faire changer d’avis : est-ce que tu sais qu’il y a un manoir hanté à cinq minutes d’ici ? Il se trouve sur Storholmen, l’île qu’on voit depuis la baie de Sticklinge, juste en bas de chez toi ; il a été construit au début du siècle dernier… » Quelques jours plus tard, j’embarquais à bord de la navette maritime direction Storholmen, pour visiter cette île piétonne et découvrir ce fameux manoir. À peine arrivée, Storholmen m’a captivée, à la fois par son silence et la résilience de ses habitants. J’ai tout de suite placé mentalement ma coiffeuse et ses brosses dans une pièce de ce manoir délabré que je venais de restaurer en pensée. « L’Île de Yule », ainsi que Emma, Karl et Viktoria étaient nés !
Pourquoi avoir choisi de nous entraîner sur l’île de Nissos dans ce nouveau roman ? Peux-tu nous en offrir une petite visite guidée ?
Nissos est une île fictive, un amalgame de mes îles préférées de la Mer Egée, une réflexion des endroits que beaucoup de Français connaissent. Créer une île a un grand avantage : on peut manipuler sa géographie pour faire avancer l’histoire. En même temps, Nissos est absolument grecque : sa topographie, ses plages, ses odeurs, ses saveurs, ses couleurs, ses habitants et ses visiteurs la rendent plus que réelle. On la visite avec le capitaine de Police Christophoros Markou, on se promène de son port à son commissariat – avec la déco des années 1980 – des plages dont les noms sont parfois insolites – comme la plage de l’ânesse ou du pirate – à son monastère, avec sa Chora (la ville capitale), ses rue étroites, pleines des chats errants. Soyez des bienvenus en Grèce !
Qui de l’île ou de l’intrigue s’est invitée en premier dans ton imaginaire ? Peux-tu nous conter la genèse de ce roman ?
En fait j’avais le personnage d’Emma en tête depuis longtemps, ainsi qu’un twist du roman que je voulais à tout prix mettre en scène. J’avais aussi extrêmement envie de mettre en scène un homme, moi qui privilégie toujours les femmes, c’est comme cela que Karl est né. Puis, en déménageant en Suède, Storholmen et son manoir hanté sont venus compléter l’histoire.
Qui de l’île ou de l’intrigue s’est invitée en premier dans ton imaginaire ? Peux-tu nous conter la genèse de ce roman ?
Le roman est né quand je me suis dit que j’aimerais écrire une enquête pour mon protagoniste récurrent Christophoros Markou comme « Les vacances d’Hercule Poirot », mais sur une île grecque. Donc le premier élément était l’île et son calme estival. Cet endroit, je l’ai peuplé avec des personnages inspirés par des gens que j’ai connus au cours de mes déambulations l’été, et puis j’ai eu l’idée d’inclure un roman à clé dans mon roman, qui serait le mobile du crime. L’intrigue est née grâce à l’endroit, les personnages et ce dernier élément qui est le fil rouge du récit : Si on ne veut pas que nos secrets soient révélés, est-on capable de tuer pour les garder cachés ?
Loin du décor de rêve que peut représenter une île dans l’imaginaire collectif, tu y installes au contraire une ambiance tout à fait particulière, qui nous donnerait plutôt l’envie d’en déguerpir malgré ses charmes naturels : était-ce là l’effet escompté ?
J’ai imaginé l’histoire de « L’Île de Yule » sans vouloir produire un certain effet, mais plutôt juste en me laissant porter par ce que cette île m’inspirait. C’était comme si, dès que j’avais mis un pied sur cette île, tous ses fantômes m’avaient murmuré leurs secrets. Et puis l’histoire du manoir est tragique à souhait, elle ne pouvait que m’inspirer : construit au début du siècle dernier par un riche industriel qui perdit ensuite toute sa fortune lors du krach boursier de 1929. Imagine combien mon imagination a été titillée !
Loin du décor de rêve que peut représenter une île dans l’imaginaire collectif, tu y installes au contraire une ambiance tout à fait particulière, qui nous donnerait plutôt l’envie d’en déguerpir malgré ses charmes naturels : était-ce là l’effet escompté ?
C’était mon objectif : créer un endroit paradisiaque duquel, suite au crime et en raison des conditions météorologiques, personne ne peut échapper et rend dès lors claustrophobe. L’angoisse, le(s) crime(s), les secrets, la méfiance qui s’installe entre « amis » s’oppose à cette attente de tranquillité estivale et de bons moments que les vacances sur une île grecque promettent.
Une île sur laquelle on croise plus de personn(ag)es qu’on n’aurait pu le penser… Et dont on ne sait pas toujours quoi penser : Pourrais-tu faire les présentations ?
Il y a tout d’abord le commandant Karl, le livre s’ouvre avec lui lorsqu’il découvre le corps d’une jeune fille pendue à un arbre du manoir Gussman, sur Storholmen, en 2012. Puis, l’histoire se poursuit en 2021, neuf ans plus tard, avec Emma, une experte en art qui doit procéder à l’inventaire des biens de la famille Gussman – quatrième plus grande fortune de Suède – qui possède le manoir de l’Île de Yule. Il y a ensuite Viktoria, qui elle est la domestique du manoir de Storholmen.
Une île sur laquelle on croise plus de personn(ag)es qu’on n’aurait pu le penser… Et dont on ne sait pas toujours quoi penser : Pourrais-tu faire les présentations ?
Comme dans mes whodunits précédents, et selon les règles du genre, il nous faut une galerie de personnages qui forment le cercle fermé de suspects. Comme on est sur une île cosmopolite, j’ai eu la joie de jouer avec différentes nationalités et créer une douzaine de criminels potentiels, hauts en couleurs, et chacun avec ses mobiles. Aux côtés de Markou, on a un jeune stagiaire de la police locale, Maroulas, qui connaît les protagonistes, dont Lucy Davis, la (première) victime, une anglaise qui avait commencé à écrire un roman où elle allait révéler les secrets de ses amis (mauvaise idée !). Ensuite Henrietta Banks une riche américaine excentrique (ou folle, ça dépend à qui vous posez la question !) Mariama, l’hôtesse suissesse de la maison où on découvre le cadavre et Sophie sa fille de dix ans, Alessandra et Fausto, un couple d’Italiens très (trop ?) proches de la victime, le vieux Français Arnaud Cadena qui était une figure paternelle pour Lucy, le Belge De SaintSimon (surnommé…!) et son mari Français Jacques, puis le styliste Turc Mehmet et Betty la modèle Brésilienne, veuve d’un multimillionnaire Français, et encore quelques autres qui habitent Nissos et hantent notre imagination…
Une île sur laquelle les mythes et croyances ont la vie dure et imprègnent le quotidien de ses habitants : Peux-tu nous en parler ? En quoi était-ce essentiel à tes yeux ?
En venant habiter en Suède, j’ai réalisé combien les rites et les croyances nordiques étaient partout. Et moi qui suis une férue d’histoire, j’ai mis les deux pieds dedans pour « L’Île de Yule » avec un immense bonheur. Ces rites et croyances imprègnent encore aujourd’hui le quotidien des Suédois : par exemple « mercredi » se dit par exemple « onsdag » parce que c’est le jour d’Odin, la fête de la St Jean est une célébration païenne de la fécondité qui marque le début de l’été et c’est ici la fête la plus célébrée. La manière dont les Suédois trinquent, en levant leur verre et avec un simple signe de tête vers leurs voisins de table, sans que leurs verres ne se touchent, remonte aux traditions vikings : éviter que les alcools ne se mélangent au cas où le contenu de la chope de son voisin ait été empoisonnée par un autre viking. C’est fascinant !
Une île sur laquelle les traditions et habitudes mondaines ont la vie dure et imprègnent le quotidien de ses habitants : Peux-tu nous en parler ? En quoi était-ce essentiel à tes yeux ?
Cela fait partie d’une vie quotidienne mondaine et assez protocolaire (qui, après un moment, devient trop stricte et tue la spontanéité des vacances) que j’ai connue sur quelques îles grecques pendant mes séjours. Si tu veux être invité aux dîners, aux cocktails ou sur les bateaux, si tu veux rencontrer des gens créatifs, intéressants ou puissants, il faut suivre les instructions. Et surtout il ne faut pas écrire un livre sur eux, hahaha !
Ce cercle fermé de Nissos, où il faut être parrainé pour entrer, avec ses codes et ses règles, ses exclusions, son hypocrisie et ses gossip, est un élément indispensable pour le récit : tout est parfait sur la surface, bien contrôlé et comme il faut, mais le meurtre va révéler que ce visage lisse ne l’est pas tant…
Une île sur laquelle le sang n’a déjà que trop coulé… Mais le crime parfait n’existe pas : Ne dit-on pas que le diable est dans les détails ?
C’est comme ça que j’aime avoir mon lecteur : en jouant sur des détails qui parfois ressemblent à des oublis, mais qui ne le sont pas ! « L’île de Yule » et son manoir ont en effet une réputation sulfureuse depuis que, neuf ans plus tôt, une adolescente a été découverte pendue à un arbre du domaine, tuée dans des conditions affreuses : ses cuisses ont été entaillées, ses gros orteils attachés entre eux et une paire de ciseaux a été accrochée autour de son cou. Son assassin n’a jamais été retrouvé. Et, alors qu’Emma commence son travail au manoir, une nouvelle jeune fille est découverte, morte, dans la mer gelée, et tout laisse penser qu’elle a été victime du même tueur…
Une île sur laquelle le sang a déjà que trop coulé… Mais le crime parfait n’existe pas : Ne dit-on pas que le diable est dans les détails ?
Pas seulement le diable, mais aussi la réussite d’une enquête policière et d’un whodunit : Les détails (même les plus anodins peuvent nous guider vers la vérité) sont là : dans les mots et les descriptions, dans les témoignages, les pensées et les fausses pistes pour que le lecteur puisse les déchiffrer et identifier le(s) coupable(s) avant même le policier ! Les secrets du présent et du passé sont dangereux…
Une île sur laquelle tu nous offres une intrigue d’autant plus prenante et captivante qu’elle nous happe jusqu’à une fin tout à fait saisissante… L’avais-tu déjà en tête au moment de prendre la plume ?
Oui, j’ai toujours mes fins au tout début de ma phase de travail. Je sais qui est le méchant, comme diraient mes fils. Je connais également les twists de mes romans bien avant d’écrire, même si certains peuvent m’apparaître alors que je suis en train de corriger un chapitre ! C’était d’ailleurs le cas pour « Te tenir la main pendant que tout brûle » devenu « La Folly » au format poche.
Une île sur laquelle tu nous offres une intrigue d’autant plus prenante et captivante qu’elle nous happe jusqu’à une fin tout à fait saisissante… L’avais-tu déjà en tête au moment de prendre la plume ?
Quand je commence à écrire, je connais déjà le « qui » et le « pourquoi », le tueur et le mobile. Les détails, les traits de personnages, les rebondissements nécessaires viennent pendant l’écriture, inspirés par les protagonistes. Je suis très heureux que cette enquête t’ait plu ! J’avoue qu’en lisant sa traduction en français (à l’origine elle est écrite en grec, et elle a d’abord été publiée en Grèce en 2021) je l’ai aussi aimée en tant que lecteur !
Penses-tu avoir quitté l’île de Storholmen pour de bon ? Quels sont tes projets littéraires à venir ?
Je suis loin de l’avoir quittée, mais je ne sais pas quand j’y retournerai. Je travaille en ce moment pour deux boîtes de prod, une en Suède, l’autre en France, pour créer des contenus (toujours thriller !) pour les plateformes de streaming, ce qui est très différent comme travail et très stimulant ! J’ai également un autre projet à l’étranger dont je n’ai pas le droit de parler… Donc je suis sage et je me tais !
Penses-tu avoir quitté l’île de Nissos pour de bon ? Quels sont tes projets littéraires à venir ?
Après ses vacances gâchées par des meurtres, c’est sûr que Markou ne reviendra pas à Nissos, haha ! Seul problème : n’importe où il est, à Athènes ou sur les îles, en Grèce ou à l’étranger les crimes le suivent. Sa prochaine enquête sort en mai, chez Plon. De retour à Athènes, Markou doit enquêter et découvrir un tueur en série qui utilise les livres de sa propre bibliothèque comme inspiration pour les meurtres ! Crime et littérature, ou que se passe-t-il lorsque les meurtres de nos polars préférés sortent de leurs pages et deviennent bien réels ? J’espère que les lecteurs vont l’aimer !
Un immense merci à ces deux auteurs de grand talent de s’être si volontiers prêtés au jeu de mes petites questions indiscrètes ! Si vous ne les avez pas encore lus, je vous invite à prendre quelques pages au grand air en leur compagnie dans ces petits coins de paradis… A vos risques et périls !