Une histoire que l’Histoire a oublié et qui fait pourtant tristement écho à l’actualité : “Post Frontière” de Maxime Gillio, paru ce jour – 23 août 2023 – chez Talent Editions.
Le pitch : Quand les frontières bougent, les destins vacillent.
Patricia Sammer, journaliste au Tageszeitung, enquête sur les personnes ayant fui l’Allemagne de l’Est dans les années 1960. Inge Oelze, qui a franchi le Mur quarante ans plus tôt, accepte de lui raconter ses souvenirs : son enfance dans l’Allemagne dévastée de l’après-guerre, la fracture de son pays en deux blocs, son passage à l’Ouest et son engagement politique.
Mais, rapidement, leurs discussions tournent au jeu de dupes : à l’évidence, Inge dissimule une partie tourmentée de son passé, tandis que Patricia s’abrite derrière son article pour mener une quête beaucoup plus intime. Pourquoi autant de mystères entre ces deux femmes qui ne s’étaient jamais rencontrées ? Passeur d’histoires dans l’âme, Maxime Gillio a écrit de nombreux romans policiers avant de bifurquer vers la littérature jeunesse. Pour écrire Post Frontière, un roman beaucoup plus personnel, il s’est inspiré d’une histoire vraie, intime et poignante. Avec une écriture prenante, il nous entraîne dans une quête mémorielle à travers l’histoire de trois femmes, ballottées au gré des époques et des méandres des frontières. Un roman aux cruelles résonances contemporaines.
De Maxime Gillio, je connais assez peu la bibliographie. Je l’ai découvert avec “Les Disparus de l’A16“, l’ai redécouvert dans un ouvrage à quatre mains avec Sophie Jomain – “Thérapie du crime“. Je le sais auteur de littérature jeunesse mais n’ai lu aucun bouquin. J’ai “Batignolles Rhapsody” dans ma PAL depuis que je l’ai croisé à Saint Chef début juin. Mais c’est justement cette belle rencontre qui m’a foncièrement marquée. Aussi – et contre toute attente – je n’ai pas hésité une seule seconde lorsque Maxime Gillio m’a proposé de découvrir son dernier titre en avant-première à travers ses épreuves non corrigées, me permettant ainsi de rester fidèle à mes principes et de l’acheter le jour de sa sortie en librairie.
Si je pense maîtriser la littérature noire et toutes ses branches – parmi lesquelles le polar historique -, je suis bien moins calée quand l’Histoire s’invite dans un roman et – oserais-je vous l’avouer ? – le XXème siècle ne m’attirait guère pour me paraître trop contemporain… Jusqu’à récemment. Et plus encore jusqu’à ce roman. Roman que j’ai adoré autant qu’il m’a bouleversée et dont il me faut maintenant vous parler… Tâchons de prendre de la distance pour être à la hauteur…
Des lendemains de la Seconde Guerre Mondiale à travers l’Europe, je sais ce que tout le monde sait, je sais ce que nos manuels scolaires nous en disent. Autrement dit pas grand chose. Et absolument rien de ce pan de l’Histoire que cette histoire nous raconte. Je ne connaissais rien des Sudètes ni de l’exode auquel ils ont été contraints, encore moins des supplices qu’ils ont endurés. Je ne connaissais rien de Fraction Armée Rouge si ce n’est qu’elle était surnommée la “bande à Baader”… Nous voilà bien avancés, me direz-vous, et vous aurez raison.
S’inspirant des faits tout à fait réels, Maxime Gillio nous conte ainsi le destin brisé de trois femmes prises dans le tourbillon d’une sombre période, dommages collatéraux parmi tant d’autres, sans doute considérés comme insignifiants face aux enjeux qui les dépassent. Ce sont pourtant les “petites” histoires qui font la grande, de celles qu’il s’agirait de ne pas oublier pour éviter qu’Elle ne vienne à se répéter… Mais le contexte actuel nous enseigne que nous ne retenons décidément rien des erreurs (du) passé(es)…
Revenons-en à Anna, Inge et Patricia. Trois femmes auxquelles on s’attache profondément, qui n’avaient rien demandé et pourtant prises au piège d’évènements qui les frappent de plein fouet sans y avoir pris part. D’une fascinante et édifiante richesse historique, ce livre se construit avec intelligence autour des échanges entre une journaliste qui nous cache bien des choses et dont la quête semble plus personnelle qu’elle veut bien l’admettre et son “témoin” qui n’a rien à cacher et n’a pas encore conscience de ce que ses confidences pourraient lui apporter. En résulte un texte dense, aussi prenant que poignant, empreint d’une humanité qui a tant fait défaut à cette époque.
Un récit porté par une plume fluide, pleine d’émotions mais aussi de pudeur, un récit dans lequel on se laisse porter et emporter, au gré des épreuves et des drames, des larmes et des désillusions. Au gré des vérités et des révélations aussi, jusqu’à un dénouement inattendu et un chapitre final d’une beauté sans nom.
En bref, je ne sais pas si j’ai réussi à faire honneur à cette lecture, je ne le pense pas mais en tout cas je remercie Maxime Gillio, conteur d’histoires devenu passeur d’Histoire le temps de cette grande fresque mémorielle émouvante. Eloquente. Saisissante. Nécessaire.