Vous me connaissez mes Bookinautes adorés : Je ne loupe jamais une opportunité de partir à la rencontre de nouveaux auteurs et de leurs romans, trop curieuse pour m’empêcher de bouquiner… Et ainsi élargir sans cesse mes horizons. C’est grâce au salon des Livres dans la Boucle de Besançon que j’ai croisé la plume de Johanna Krawczyk en me plongeant dans “La Danse des Oubliés“. Un roman qu’il me fait absolument vous présenter… Et son autrice avec elle ! Raison pour laquelle je l’ai sollicitée pour cette petite interview qu’elle a très gentiment accepté de m’accorder ! Je l’en remercie très chaleureusement et vous laisse à présent en tête à tête avec ses réponses : Belle rencontre et bonne lecture !
Quelle autrice êtes-vous ? Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
J’aime les histoires, les mots, les personnages. J’aime l’évasion, le jeu et le refuge que représente l’écriture. Je travaille à mon bureau, la porte fermée, souvent avec un thé. Je suis entourée de livres et de papiers, et j’oscille entre l’impatience et l’endurance.
Autrice… Mais avant tout lectrice : Quel rapport entretenez-vous avec la lecture ?
Je suis une lectrice compulsive… Par périodes. J’aime découvrir de nouveaux univers, entrer dans une librairie et en sortir avec d’autres livres que ceux que j’avais prévus. Je suis aussi une lectrice tout-terrain : je peux lire des romans, de la poésie, des albums jeunesse, des bandes dessinées, des essais, etc. J’aime que la lecture me déplace, émotionnellement ou intellectuellement.
Vous êtes d’abord venue à l’écriture en tant que scénariste. Qu’est-ce qui vous a poussée à vous lancer dans l’aventure romanesque ? Quel en a été l’élément déclencheur ?
Je suis venue à l’écriture, je crois, par l’exercice de la dissertation, puis de la thèse et des monologues dramatiques. Et comme j’aime l’exploration, je suis devenue scénariste. Quelques années plus tard, ma fille est née et l’appel du premier roman a retenti. J’avais besoin d’écrire l’histoire qui est celle d’« Avant elle ». A partir de là, le défi a été de tenir la distance, d’aller au bout, et pour cela, l’expérience de la thèse (devenue un essai sur l’agression du spectateur dans le théâtre politique contemporain) a été essentielle. Je me répétais : « Tu es allée au bout de la thèse, tu peux aller au bout de ton roman ». Pour citer cette magnifique formule (et titre) de Jean-Philippe Toussaint : l’expérience de la maternité m’a mise face à l’urgence d’écrire, et celle de la thèse m’a enseigné la patience.
Publié en 2021, « Avant elle » semble être un premier roman très différent de celui qui vous voit revenir en librairie cette année : Que pourriez-vous nous en dire ?
« Avant elle » retrace l’histoire de Carmen qui découvre les carnets intimes de son père et tout un pan de son histoire qu’elle ignorait. C’est un voyage intime, identitaire et politique puisqu’on plonge avec elle dans les années de la dictature de la fin des années 1970 en Argentine. C’est aussi un livre qui traite de la question de la violence à grande échelle : qu’est-ce qui fait qu’un individu a priori ordinaire puisse devenir un bourreau capable de commettre les pires atrocités ? Dans « La Danse des oubliés », il ne s’agit plus de s’interroger sur la figure du bourreau mais sur les victimes collatérales des drames. Comment tient-on debout quand la vie est percutée ? Si les formes et les histoires sont différentes, il y a un continuum thématique sur la violence qui ne fait aucun doute.
Paru le 22 août 2024, « La Danse des Oubliés » nous emmène à Belle Rose, petit village de Savoie où le corps de la jeune Maud est retrouvé dans l’Eau Rouge, la rivière locale. Déterminée à découvrir la vérité et à trouver le coupable, sa sœur aînée Luce met sa passion pour la danse entre parenthèses et sollicite l’aide de Matthias, dit le Maudit, un homme ayant vécu un drame similaire dans son enfance. Qui du lieu ou des personnages s’est-il invité d’en premier dans votre imaginaire ?
Le personnage dans les lieux, ou plus précisément, Matthias dans ces paysages savoyards. J’avais en tête ces routes en lacet, cette végétation abondante, et lui, bête de muscles mutique, le pas lourd, travaillant en silence. Je visualisais aussi son camion, les routes qui défilent, et je me demandais : pourquoi cet homme est-il si silencieux ? Pourquoi cet homme est-il si seul ? Pourquoi son réconfort est-il de rouler à bord de son camion ? Tout le reste est venu ensuite.
Bien qu’accompagnés de toute une galerie de personnages fort bien croqués, nous voici surtout plongés au cœur d’un roman choral alternant entre Luce et Matthias, deux êtres que tout oppose et qui vont pourtant associer leurs souffrances pour partir en quête de vérité. Comment vous est venue l’idée de ce duo/duel et que diriez-vous pour les présenter ?
Il y a d’abord eu Matthias, caractérisé par le silence. Pour le bousculer, le faire renaître, il fallait donc qu’il fasse la rencontre d’un personnage qui était son exact opposé : Luce. Un être de cri, de révolte, d’indignation. Il fallait un être solaire, déterminé à ne pas se résigner. Travailler le passage du duel au duo a ensuite été le cœur du livre, son chemin d’espoir.
Si vous jouez avec les codes de la littérature noire, vous ne vous y ancrez pas véritablement, comme si l’essentiel était ailleurs : Est-ce le cas ? Comment l’expliquez-vous ?
Ce qui m’importe, c’est le sens de l’histoire, ce que je veux raconter. Et ce qui, en tant que lectrice, m’offre un grand plaisir de lecture. Pour « La Danse des oubliés », j’avais envie de jouer sur les codes du thriller psychologique, qu’il y ait un suspense, une vérité à faire éclater. Pour cette raison, Luce et Matthias mènent l’enquête. Mais celle-ci n’est pas le cœur du livre, elle permet la rencontre de ces deux écorchés, mais la réparation est ailleurs…
Mais la grande originalité de ce court roman, c’est que vous y procédez à un curieux mélange, tout à fait audacieux mais réussi, entre polar et poésie, comme des éclaircies pour en alléger le sombre propos : Était-ce bien votre objectif ? D’où vous est venue cette inspiration ?
J’ai débuté « La Danse des oubliés » en voulant écrire un thriller psychologique. Mais plus j’avançais, plus il manquait quelque chose : l’enquête ne pouvait pas être le cœur narratif et formel. Parallèlement, le monde était de plus en plus chaotique et j’avais moi-même besoin de retrouver du souffle. Je me suis mise à lire de manière assez compulsive des recueils de poésie, des monologues dramatiques. Et cela s’est infiltré dans l’écriture de « La Danse des oubliés ». Les personnages se sont mis à dire « je » et à offrir un peu de leur lumière.
Votre roman vient de paraître… Mais avez-vous déjà une idée pour vos prochaines pages ? Quels sont désormais vos projets littéraires ?
Les prochaines pages sont déjà écrites. Mais seront-elles pour autant celle du prochain livre ? La recherche continue…
Si vous deviez comparer votre vie à un roman, lequel serait-ce ?
Aucune idée. En revanche, il y a plein de personnages que j’adorerais rencontrer : Madame Rosa de « La vie devant soi » de Romain Gary, Antigone de la pièce éponyme de Sophocle, Ágústína du « Rouge vif de la rhubarbe » de Auður Ava Ólafsdóttir, Asta du roman éponyme de Jón Kalman Stefánsson. Il y a aussi Zézé de « Mon Bel Oranger » de José Mauro de Vasconcelos, ou Gil de « Quand j’avais cinq ans, je m’ai tué » de Howard Buten. Oui… Que des femmes et des enfants.
Un petit mot pour la fin ?
Les livres sont une terre de partage fabuleuse. Merci beaucoup pour cet entretien et votre amour des livres. Vive la lecture !
Un immense merci à vous, chère Johanna, pour votre bienveillance et votre disponibilité ! Ce fut un immense plaisir pour moi de vous rencontrer, vous et votre plume, à travers votre roman mais aussi à l’occasion d’une table ronde, et plus encore au fil de cet échange passionnant ! Je suis ravie de pouvoir ainsi vous faire découvrir, à mon tour et à ma façon, avant de me pencher sur votre premier titre qui patiente gentiment dans ma PAL ! Et c’est aussi à vous de bouquiner mes Bookinautes adorés : “La danse des oubliés” vous attend en librairie sans délai !