Cela fait maintenant quelques temps que je vous donne rendez-vous chaque mercredi et samedi afin de partir à la rencontre de ces personnes si discrètes et pourtant indispensables pour faire vivre notre bel univers littéraire, afin de dévoiler leurs lectures et plus précisément le lecteur qui sommeille en chacun d’eux…
Pour notre rendez-vous du jour, j’ai eu l’honneur de pouvoir poser mes petites questions indiscrètes à Pierre Krause, du site Babelio ! Pour ceux qui ne le connaissent pas (encore), sachez qu’on est toujours ravi de recevoir un mail de Pierre Krause, car toujours synonyme d’un rayon de soleil dans notre journée, nous informant ainsi qu’on a la chance d’être sélectionné pour rencontrer un auteur dans les locaux de sa maison d’édition (ce fut mon cas pour Caryl Ferey chez Gallimard et Sylvie Gibert chez Plon). C’est aussi lui qui nous fait le plaisir d’animer ces fameuses rencontres, toujours avec clarté et dynamisme, instaurant à chaque fois une ambiance conviviale propice à l’échange entre l’auteur et ses lecteurs, pour faire de ces soirées des souvenirs impérissables. En bref, Pierre Krause, c’est un peu mon Père Noël sur Babelio!
Trêve de bavardages, je ne vous fais pas languir plus longtemps et vous laisse donc découvrir ses réponses… Bonne lecture !
Pouvez-vous vous présenter, ainsi que le site Babelio, en quelques mots ?
“Babelio” est un réseau social de lecteurs. On peut s’y inscrire pour constituer sa bibliothèque idéale, ajouter des critiques, ou des citations de ses œuvres favorites, jouer à des quiz ou tout simplement échanger avec d’autres lecteurs.
Cependant, on n’est pas non plus obligé de s’y inscrire, on peut également y passer en tant que simple visiteur, pour piocher ses prochaines lectures, découvrir l’avis des autres lecteurs ou de la presse sur des livres méconnus ou au contraire sur ceux dont tout le monde parle.
L’équipe du site organise également régulièrement des opérations pour faire gagner des livres en échange d’une critique ou des rencontres avec des auteurs : les membres reçoivent le livre, le lisent et interrogent directement l’auteur lors de la rencontre !
Quant à moi je suis Pierre Krause, responsable éditorial du site depuis près de six ans maintenant.
Quelle place tient la lecture dans votre vie ?
La lecture a toujours été très importante, mais à côtoyer régulièrement des membres de Babelio, je me rends compte que je ne suis qu’un piètre lecteur ! Certains lisent presque un livre par jour et publient leur critique dans la foulée !
Je dois avouer que j’ai un rythme plus lent ,même si j’ai souvent plusieurs livres sur le feu : un pour le boulot, donc par définition une nouveauté, et un classique ou une BD. Concrètement, je lis en ce moment “Jaguar” de Hector Tobar, un roman très dur sur une dictature sud-américaine (ceci dans le cadre du Festival America à Vincennes, pour lequel je vais animer plusieurs tables rondes) et l’intégrale de “Sandman” de Neil Gaiman que je découvre les yeux pleins d’étoiles.
Je lis plusieurs livres en même temps à des vitesses très différentes mais, pour autant, paradoxalement, quand je termine une lecture, je n’aime pas du tout enchaîner avec une autre. Une fois que j’ai terminé un livre, j’aime bien faire une pause et m’interroger sur ma lecture. Cela me permet de ne pas les oublier trop rapidement.
Je lis plusieurs livres en même temps à des vitesses très différentes mais, pour autant, paradoxalement, quand je termine une lecture, je n’aime pas du tout enchaîner avec une autre. Une fois que j’ai terminé un livre, j’aime bien faire une pause et m’interroger sur ma lecture. Cela me permet de ne pas les oublier trop rapidement.
J’aimerais pouvoir faire une critique de chacune de mes lectures mais hélas, ce n’est pas du tout le cas. C’est un exercice très stimulant mais plus j’aime un livre, plus je trouve difficile d’en parler. Je trouve impressionnants les gens qui arrivent à mettre des mots sur chacune de leurs lectures.
Y a-t-il un livre/auteur qui vous a poussé à exercer votre métier ? Quel a été votre déclic ?
Je ne pense pas qu’un auteur en particulier m’ait poussé à exercer ce métier, mais je m’intéresse depuis mon adolescence aux différents phénomènes de réception d’objets culturels. Comment une société accepte, embrasse, se reflète ou rejette, voire brûle une œuvre ou un artiste, cette question m’a toujours fasciné. Je suis d’ailleurs convaincu que la réception d’une œuvre fait partie intégrante de celle-ci. J’imagine qu’il y a ainsi une certaine logique à travailler aujourd’hui pour un site de critiques ! Les œuvres et les auteurs m’intéressent autant que la façon dont ils sont accueillis par la presse et le public.
Quel a été votre premier coup de cœur littéraire ? Et le dernier ?
Mon premier coup de cœur littéraire a été Oscar Wilde avec une lecture presque simultanée du “Portrait de Dorian Gray” et de “De Profundis“. Il me semble inconcevable de ne pas aimer Oscar Wilde – et de ne pas l’aimer à la folie, après avoir lu ce dernier ouvrage, en fait une longue lettre remplie de larmes et de plaies ouvertes adressée à son amant Lord Douglas. Ce n’est pas fréquent de lire les mots d’un écrivain à l’instant exact de sa perdition. Cela a été difficile pour moi de lire autre chose après ces deux livres mais ces derniers ont véritablement changé ma conception de la littérature, et je suis persuadé qu’ils ont infléchi la courbe de ma vie comme je l’explique ici dans une critique Babelio. Je ne crois pas que j’écouterais la musique que j’écoute aujourd’hui, que j’apprécierais les films que j’apprécie, que je lirais les livres que je lis, si je n’avais pas eu ces deux ouvrages entre les mains à l’adolescence. J’aurais eu d’autres goûts, d’autres envies, d’autres idéaux. J’ai passionnément aimé certains livres comme “Aurélia” de Nerval que je lis et que je relis en continu depuis presque 15 ans, mais alors que je prends ce livre comme la plus extraordinaire chose qu’un artiste puisse produire, je ne pense pas que cette nouvelle ait, au contraire de ces ouvrages d’Oscar Wilde, changé le cours de mon existence.
Mon dernier coup de cœur est la relecture de l’œuvre de Lovecraft par Alan Moore dans la série de comics “Providence“. On pensait Alan Moore peut-être un peu fatigué, ses dernières productions étaient honnêtes mais très loin des chefs-d’œuvre auxquels il nous avait habitué. Il avait d’ailleurs déjà flirté avec Lovecraft dans un récit qui comportait de nombreuses faiblesses. Providence, pourtant, est une claque. Que l’on connaisse ou pas l’œuvre de Lovecraft, on est très vite emporté dans la quête ésotérique du narrateur. Ce dernier cherche à dresser la carte de l’inconscient, de voir comment ce à quoi on rêve la nuit influe sur ce que l’on vit le jour. C’est un récit qui devient peu à peu terrifiant mais toujours fascinant. Si cela vous intéresse, j’en parle un peu plus longuement dans ma critique sur Babelio.
Quel est votre livre de chevet ? Et celui qui cale votre bibliothèque ?
J’ai toujours un livre de Stevenson à portée de main. C’est l’un de mes écrivains préférés. Il y a tout ce que j’aime chez un auteur : une imagination débordante, un sens du style (il n’y a qu’à lire ses lettres pour se rendre compte de l’affolante beauté de sa plume) et une interrogation continuelle sur la véritable nature de l’âme humaine. Chez lui, rien n’est jamais imposé : on peut lire ses livres comme de simples aventures sans grandes conséquences, ou au contraire réfléchir aux nombreuses situations ambiguës proposées par l’auteur. Stevenson ne fait par ailleurs jamais la morale. L’aventure se fait chez lui dans la transgression. On devient pirate, on devient un monstre, et dans cette transgression, on s’interroge sur la morale, le mal et toutes ces questions auxquelles il n’apporte aucune réponse clef en main.
Pour caler ma bibliothèque, je pense que je choisirais un livre de Bret Easton Ellis ! Je vais me faire beaucoup d’ennemis mais je n’aime pas beaucoup cet auteur ni d’ailleurs les écrivains qui s’en réclament trop ouvertement. Tout est un peu trop étouffant chez lui, trop grandiloquent, trop épate-bourgeois. On a l’impression qu’il veut en mettre plein la vue à chaque page. Si vous voulez lire un bon livre de Bret Easton Ellis, lisez plutôt Hubert Selby Jr. qui est autrement plus bouleversant et intéressant sur des thématiques pourtant pas si éloignées.
Si vous deviez comparer votre vie à un roman, lequel serait-ce ?
Je ne vois pas, mais qu’est-ce que j’aurais aimé que ma vie d’enfant ressemble à celle de Calvin (et Hobbes) ! Ne se dit-on pas tous qu’on a raté son enfance quand on lit cette BD ?
Existe-t-il, selon vous, une recette idéale pour écrire un bon roman ? Si oui, laquelle ?
Il est bien difficile de répondre à cette question en n’étant comme moi qu’un simple et timide observateur. Néanmoins, en lisant quotidiennement des critiques de livres, je me suis rendu compte qu’il n’existait aucune recette ! Et tant mieux d’ailleurs. L’écriture n’est pas censée être une recette de cuisine qui nécessiterait des proportions, des mesures, des règles à respecter. L’auteur ne doit au contraire rien respecter, il doit simplement aller au bout de sa toute petite ou très grande intuition. Mais vraiment, il n’y aucune règle : il existe des livres qui n’auraient jamais dû fonctionner mais qui sont des chefs-d’œuvre, des ouvrages pour lesquels leurs auteurs ne sont pas allés au bout de leur idée, ont accepté des compromissions, des rabotages ou des censures inacceptables et qui sont excellents, d’autres pour lesquels des auteurs se sont investis jusqu’à en perdre la raison pour un résultat médiocre. Bref, il n’y a pas de règle, pas d’autorité, rien. Même les lecteurs ont tort parfois.
La logique pure voudrait par exemple que j’aime Corto Maltese parce qu’absolument tout ce que j’apprécie au monde se retrouve dans cette BD. Et pourtant, je n’ai jamais pris de plaisir à lire ses aventures… Je serais incapable de dire pourquoi mais, de fait, cela ne marche pas.
J’aime quand un artiste est un peu arrogant et pense que son livre va effacer ou démoder tout ce qui a été écrit avant lui. Cela devrait être, selon moi, l’ambition de tous les artistes, celle de créer véritablement quelque chose. Ce ne devrait pas être simplement un petit plaisir innocent. Une œuvre devrait avoir des conséquences, que ce soit sur le public ou sur les autres artistes. Mais évidemment, cette ambition n’est nullement la garantie d’un bon livre.
Y a-t-il une sortie littéraire que vous attendez avec impatience ?
J’avais été un peu déçu par “Moi et le diable“, le dernier roman de l’un de mes écrivains préférés Nick Tosches qui frôlait presque l’auto-parodie malgré des passages superbes, quand par exemple l’auteur prend un moment sa compagne pour une sorte de divinité. J’attends en revanche avec une grande impatience sa fiction sur la vie de Jesus, qui s’annonce épique.
Un petit mot pour la fin ?
Merci à vous pour cette interview !
Voilà donc quel lecteur se cache derrière cet illustre et sympathique membre de la communauté Babelio, que je remercie vivement d’avoir pris de son temps pour répondre à mes questions !
Retrouvez toutes ses critiques sur Babelio ICI !
Et sachez que vous pouvez également m’y retrouver ICI !
Très chouette ITW de Pierre. Pour une fois que c'est lui qui est sous le feu des questions… 🙂
Oui, ce n'est pas facile d'être à cette place là 🙂
Et tu t'en es bien tiré ! 🙂
A Magali : Merci beaucoup! Oui, il faut bien inverser les rôles de temps en temps! Et ce fut d'ailleurs un vrai plaisir! 🙂
A Pierre : Peut-être, mais vous avez été parfait! Encore un immense merci!