Mes petits Bookinautes adorés : Pour cette rentrée j’ai eu la chance immense de me nourrir de formidables lectures, m’entraînant dans de belles découvertes et me conduisant à solliciter de talentueux romanciers pour vous les faire découvrir à mon tour : J’ai donc l’honneur et le plaisir de vous offrir une double interview de Nicolas Carreau, lequel nous parle de son premier roman intitulé “Un homme sans histoires” ainsi que Constance Rivière qui évoquera son tout premier roman dont le titre est “Une fille sans histoire“… Bonne lecture à tous !
Quel auteur êtes-vous ? Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
J’ai publié quatre essais sur l’histoire et l’histoire littéraire. Et je viens de publier mon premier roman, « Un homme sans histoires » aux éditions Lattès. Mais je suis aussi journaliste littéraire, j’anime l’émission « La voix est livre », chaque dimanche, sur Europe 1.
Quelle autrice êtes-vous ? Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis une romancière tardive et matinale. J’ai commencé à écrire mon premier roman à près de 40 ans. Deux pages, tous les matins entre 6h et 7h, pour essayer par l’écriture de comprendre comment une jeune femme avait pu s’inventer victime des attentats, comment on pouvait en arriver à vouloir s’inviter dans une aussi grande tragédie. Et je suis aussi une autrice enthousiaste, je n’aime rien tant que ces moments d’écriture, où se déploie la liberté infinie qu’autorise l’imagination, et où surgissent une histoire, et des phrases pour la raconter.
“Un homme sans histoires”… Qui en a pourtant une : Celle que vous lui avez imaginée ! Comment résumeriez-vous celle-ci ?
L’histoire, je l’ai trouvée par la fin, dans un fait divers chinois que donc je ne peux pas vous raconter. Mais pour aboutir à cette fin, il me fallait un personnage vraiment très banal au début. Et j’avais depuis longtemps en tête l’idée d’un héros qui essaierait tellement d’être ordinaire qu’il en deviendrait, malgré lui, très singulier. C’est donc l’histoire d’Henri Reille, expert-comptable à Belprat, une petite ville de l’ouest. Il essaie de passer inaperçu tout le temps, d’être toujours dans la moyenne, de ne pas se faire remarquer. Il a même décidé consciemment de s’ennuyer pour éviter les ennuis. Un jour, il tue l’amant de sa femme, par accident et il devient un fugitif. Il fera le tour du monde, rencontrera des types plus ou moins fréquentables. Et il ne s’ennuiera plus du tout. Et lui qui n’avait jamais d’histoires à raconter, en aura à revendre.
“Une fille sans histoire”… Qui en a pourtant une : Celle que vous lui avez imaginée ! Comment résumeriez-vous celle-ci ?
C’est l’histoire d’une fille qui aurait aimé en avoir une, qui a passé son enfance à s’inventer des histoires en regardant vivre les autres, en les espionnant par les fenêtres. Et puis un jour, alors que la France est frappée par les attentats, qu’elle est seule devant la télévision, elle bascule. Elle ne se contente plus de se rêver d’autres vies, elle va faire croire aux autres qu’elle est la petite amie d’une des victimes. Elle s’invite dans sa famille, elle s’invente une histoire d’amour,
elle se raconte dans les médias, elle s’incruste dans les associations de victimes. Elle pille d’autres histoires, grossissant de ces vies qui ne sont pas la sienne et lui donnent pourtant une soudaine consistance.
“Un homme sans histoires”, c’est Henri, un homme ordinaire et transparent au quotidien : Que diriez-vous pour le décrire ?
Malgré cette propension à vouloir passer inaperçu, il est très attachant, je l’aime beaucoup. En fait, je crois qu’il ne peut pas exister dans la réalité, il est trop obsédé par la moyenne, mais il correspond, à mon avis, à une partie de nous-mêmes. Tout le monde est partagé entre un côté aventureux et un côté Henri Reille.
“Une fille sans histoire”, c’est Adèle, une jeune femme ordinaire et transparente au quotidien : Que diriez-vous pour le décrire ?
Qu’Adèle est une terrifiante usurpatrice, mais qu’elle est aussi une figure assez banale de la solitude du monde contemporain.
“Un homme sans histoires”… Un titre peu banal pour un premier roman : D’où vous est-il venu ?
« Un homme sans histoires », c’est ce qu’on dit au début d’un article sur un fait divers, une histoire criminelle. Tout le monde s’étonne que ce voisin calme et poli, « sans histoires » se soit livré à tel ou tel crime. Henri, lui, est réellement sans histoires. Mais à double titre : il n’a pas d’ennuis, mais il n’a pas non plus d’histoire à raconter au sens propre.
“Une fille sans histoire”… Un titre peu banal pour un premier roman : D’où vous est-il venu ?
De mon éditeur ! Mon premier titre était “Qui regarde une fenêtre fermée“, en hommage au très beau poème de Baudelaire, Les Fenêtres, qui était comme le fil conducteur de mon roman. Mon éditeur voulait que le titre mentionne “une fille“. J’ai dit d’accord, mais alors sans histoire, car c’est bien de cette absence que part l’intrigue.
Pourriez-vous nous expliquer l’importance du pluriel employé ici ?
Je savais qu’en mettant le « S », j’aurais quelques réflexions. J’en ai eues, dans des festivals notamment où des lecteurs pointaient ce qu’ils pensaient être une faute d’orthographe. Mais d’abord, c’est grammaticalement correct, on l’écrit avec un « S ». Il n’a pas DES ennuis, DES histoires. Par ailleurs, sans le « S », le sens ne serait
pas le même. Un homme sans histoire, c’est quelqu’un qui n’a pas de date de naissance, pas d’origine, etc.
Pourriez-vous nous expliquer l’importance du singulier employé ici ?
Je ne sais pas, j’ai l’impression que, quand il y n’a pas d’histoire, que c’est rien ou zéro, alors on doit mettre au singulier.
“Un homme sans histoires”, mais non dénué d’émotions : Est-ce vecteur d’écriture pour vous ?
Cette particularité d’Henri fait de lui une page blanche, et c’est très agréable ensuite d’assister à sa découverte des émotions fortes.
“Une fille sans histoire”, mais non dénuée d’émotions : Est-ce vecteur d’écriture pour vous ?
Oui bien sûr. La littérature naît de l’émotion, des sensations, de ce qui se vit et ne peut se dire que par un langage “poétique”. Sinon j’aurais écrit un essai !
Votre récit s’inspire-t-il d’éléments ou d’évènements réels, de faits divers ? Comment une telle intrigue s’est-elle invitée dans votre imaginaire ?
Mes inspirations sont des inspirations de rythme et de roman rocambolesques, picaresque, je n’ai pas tellement d’inspiration pour les histoires elles-mêmes car, justement, je veux faire de l’hyperfiction, je veux vraiment tout inventer, j’aime le roman qui invente “vraiment”, j’ai envie de beaucoup d’imaginaire. L’idée du roman m’a été inspirée d’un fait divers mais au delà de cela, tout est inventé.
Votre récit s’inspire-t-il d’éléments ou d’évènements réels, de faits divers ? Comment une telle intrigue s’est-elle invitée dans votre imaginaire ?
Le point de départ de mon récit est une brève entendue à la radio, une jeune femme arrêtée car soupçonnée d’être une fausse victime des attentats du 13 novembre. J’avais travaillé trois ans plus tôt auprès des victimes et je me suis demandé comment on pouvait en venir à s’inviter dans cette douleur. J’ai pensé que seule la littérature me permettrait d’approcher cette question.
Outre “un homme sans histoires”, vous partagez toujours les intrigues d’autres auteurs avec nous à travers votre émission “La voix est livre” sur Europe 1 : Comment conjugue-t-on les métiers d’auteur et journaliste littéraire ?
Comme on conjugue l’écriture avec tout autre métier : en trouvant du temps dans les coins de la journée, tard le soir en ce qui me concerne. Mais effectivement la particularité, quand même, c’est que je lis les romans des autres toute la journée et je suis « pollué » par le rythme des autres livres. Donc avant chaque séance d’écriture, je lisais quelques pages d’un roman « diapason » posé sur mon bureau, qui correspond à mon rythme d’écriture, pour me remettre la musique en tête. Sinon, c’est comme jouer du jazz à la batterie avec du ACDC dans la tête.
Depuis “Une fille sans histoire”, vous avez publié un second roman intitulé “La maison des solitudes” : De quoi parle-t-il ?
« La Maison des solitudes » a aussi un ancrage contemporain, puisque le roman commence dans un couloir d’hôpital où une jeune femme est empêchée par un virus de rejoindre sa grand-mère mourante. Elle décide de rester, de résister, parce qu’elle doit dans ces derniers moments lever le mystère sur un drame qui a brisé sa famille trente ans plus tôt. A travers ses souvenirs de la maison familiale qui est le principal personnage du livre, elle traque les indices et assemble peu à peu les pièces du puzzle. C’est un roman qui part de ma fascination pour la psycho-généalogie, pour le poids des secrets dans la transmission familiale, pour la manière avec laquelle les non-dits, les drames cachés, passent insidieusement d’une génération à une autre, et trouvent toujours une manière de s’exprimer, dans le corps, dans les rêves, dans les peurs.
Et vous : Avez-vous d’autres histoires à nous conter ? Quels sont vos projets littéraires à venir ?
PLEIN ! On en reparlera…
Et vous : Avez-vous d’autres histoires à nous conter ? Quels sont vos projets littéraires à venir ?
Je travaille sur un récit assez différent, autour de la figure d’un grand cinéaste américain âgé de 92 ans, Frederick Wiseman, qui a passé 50 ans à filmer les institutions américaines sous toutes leurs coutures. Je raconte l’Amérique à travers son regard, j’interroge la fascination que j’ai pour ses films depuis longtemps, et notre improbable amitié depuis que j’ai 17 ans.
Je remercie très chaleureusement Nicolas Carreau et Constance Rivière d’avoir pris de leur temps au cours de ce mois de septembre diablement chargé pour me permettre de vous offrir cette interview croisée pour une rentrée littéraire de toute beauté !