Une fiction « libre et incandescente » pour aborder l’Histoire autrement : « Vous ne connaissez rien de moi » de Julie Héraclès, paru le 23 août 2023 aux éditions JC Lattès, Prix Stanislas du premier roman.
Le pitch : Aujourd’hui, vous m’avez rasé le crâne, vous m’avez marquée au fer rouge et maintenant vous m’insultez comme une chienne. Mais vous ne me détruirez pas. Vous n’aurez pas cette étincelle qui me pousse à continuer, envers et contre tout. Car, aujourd’hui, encore plus qu’hier, je suis forte d’un trésor inestimable. Un trésor que beaucoup d’entre vous passerez toute une vie à chercher et n’obtiendrez jamais. J’ai aimé. Et j’ai été aimée”. Le 16 août 1944, à Chartres, le photographe Robert Capa a immortalisé une femme, tondue, le visage incliné vers son nourrisson, conspuée par la foule. Dans un roman bouleversant qui s’inspire de ce cliché, Julie Héraclès retrace la vie de cette femme libre, Simone, au tempérament incandescent.
C’est grâce à ma libraire préférée Delphine que j’ai découvert ce premier roman. J’étais à la recherche d’une bonne idée livresque pour mon Club de Lecture de la rentrée et, à l’occasion de l’une de mes (nombreuses !) escapades au Touquet, Delphine m’a suggéré de découvrir cet ouvrage, alors sur le point de paraître. Si je me suis laissée tenter par un autre de ses conseils, j’ai gardé ce titre en tête, je l’ai déniché en librairie durant mes congés, j’ai même eu la chance de rencontrer son autrice au Livre sur la Place, formidable salon organisé à Nancy pour la retrouver ensuite au Clos Vougeot sur un autre événement culturel avant de la solliciter pour une petite interview, proposition qu’elle a très gentiment acceptée, j’en profite pour la remercier ! Et maintenant c’est à moi que revient la lourde mission de partager ma lecture avec vous…
A travers ce premier roman, l’autrice s’empare de l’Histoire pour mieux s’en éloigner, s’empare d’une forte documentation pour mieux imaginer, s’empare d’une photo pour mieux la romancer. Car ce titre est une fiction et non une reconstitution historique, il est important de le souligner. Julie Héraclès est une Chartraine hantée par une autre Chartraine, elle n’a pas besoin de le dire pour qu’on le sente, qu’on le ressente à chacune de ses lignes. Avec « La tondue de Chartres » immortalisée par le grand Robert Capa pour point de départ, la voilà qui retrace non pas son histoire mais une histoire pour comprendre – et non pas justifier – comment une jeune femme aussi brillante a pu en arriver là, basculer dans la collaboration et adhérer à l’idéologie nazie sans raisonner ni réfléchir.
Au gré d’une construction narrative tout à fait prenante, sincère et audacieuse, l’autrice nous révèle ainsi un personnage trouble, plein de sentiments mais aussi de failles, qui fait de mauvais choix et, si elle s’en aperçoit, ce n’est que trop tard et elle l’assumera. S’inspirant de Simone Touseau au centre de la photo, Julie Héraclès invente Simone Grivise et lui donne une voix pour chercher ses motivations et suivre son cheminement. C’est ainsi qu’on la suit dans les rues d’une ville de Chartres parfaitement retranscrite, dans un contexte historique remarquablement dépeint, dans ce qu’il a de plus sombre et tourmenté. Dès lors c’est un récit ancré mais libre que l’autrice nous propose ici, une liberté qu’on ressent jusque dans le ton, la plume et le style.
En bref, l’autrice nous offre ici une expérience littéraire ambitieuse, un premier roman fort intéressant à découvrir !