Quand l’enquêteur se révèle un fabuleux conteur : “La Serpe” de Philippe Jaenada, paru en 2017 aux éditions Julliard et désormais disponible au format poche aux éditions Points, lauréat du Prix Femina 2017.
Le pitch : Un matin d’octobre 1941, dans un château sinistre au fin fond du Périgord, Henri Girard appelle au secours : dans la nuit, son père, sa tante et la bonne ont été massacrés à coups de serpe. Il est le seul survivant. Toutes les portes étaient fermées, aucune effraction n’est constatée. Dépensier, arrogant, violent, le jeune homme est l’unique héritier des victimes. Deux jours plus tôt, il a emprunté l’arme du crime aux voisins. Pourtant, au terme d’un procès retentissant (et trouble par certains aspects), il est acquitté et l’enquête abandonnée. Alors que l’opinion publique reste convaincue de sa culpabilité, Henri s’exile au Venezuela. Il rentre en France en 1950 avec le manuscrit du Salaire de la peur, écrit sous le pseudonyme de Georges Arnaud.
Jamais le mystère du triple assassinat du château d’Escoire ne sera élucidé, laissant planer autour d’Henri Girard, jusqu’à la fin de sa vie (qui fut complexe, bouillonnante, exemplaire à bien des égards), un halo noir et sulfureux. Jamais, jusqu’à ce qu’un écrivain têtu et minutieux s’en mêle…
Un fait divers aussi diabolique, un personnage aussi ambigu qu’Henri Girard ne pouvaient laisser Philippe Jaenada indifférent. Enfilant le costume de l’inspecteur amateur (complètement loufoque, mais plus sagace qu’il n’y paraît), il s’est plongé dans les archives, a reconstitué l’enquête et déniché les indices les plus ténus pour nous livrer ce récit haletant dont l’issue pourrait bien résoudre une énigme vieille de soixante-quinze ans.
Honte à moi qui ne connaissais l’impressionnant Philippe Jaeanada qu’à travers son humble participation à l’opération des recueils de nouvelles “13 à table !” des éditions Pocket au profit des Restos du Cœur. Un écrivain dont on ne tarit pourtant pas d’éloges et qui a d’ailleurs reçu le Prix Femina en 2017 pour le roman dont je m’apprête à vous parler. Un auteur dont la matière première de ses travaux a pourtant tout pour m’attirer, m’intéresser, eu égard à mon propre métier. Comment expliquer alors cet impardonnable loupé dans ma culture littéraire ? Je ne saurais répondre à cette légitime question, mais fort heureusement la merveilleuse Georgia me permet de me rattraper en me confiant la noble mission d’animer prochainement le grand entretien de cet auteur, l’occasion idéale pour découvrir enfin sa bibliographie. Je l’en remercie du fond du cœur, tant la découverte se révèle passionnante !
C’est en démarrant cette lecture que je fais connaissance avec l’auteur. Je veux dire VRAIMENT connaissance. Parce qu’il est un remarquable conteur qui nous embarque véritablement dans sa voiture pour l’accompagner durant toute son enquête. On ne lit pas cet ouvrage, on “l’écoute”. Je veux dire par là que la plume de Philippe Jaenada a ce je ne sais quoi d’envoûtant et magnétique qui nous procure cette incroyable impression de l’écouter nous raconter cette histoire autour d’un verre (de whisky ^^). Une impression renforcée encore par les innombrables digressions dont il nous régale à chaque page. Cela rend incontestablement cette lecture immersive… Pour ne pas dire confidentielle : Parce que l’auteur est dans le partage avec nous, de la première à la dernière ligne.
Alors on pourrait se dire que ces digressions alourdissent un texte déjà riche et conséquent… Ce n’est pas complètement faux, toutefois je ne suis pas certaine qu’on pourrait s’en passer, tant elles ont ce pouvoir d’alléger l’atmosphère, d’éclaircir ce récit d’une profonde noirceur. Car n’oublions pas le fond de cette enquête romanesque : Un triple homicide d’une rare violence commis dans un château du Périgord pendant l’Occupation, en octobre 1941. Une affaire dont l’auteur a remonté le fil pour mener de minutieuses investigations afin de comprendre comment et pourquoi Henri Girard (qu’on connaîtra plus tard sous le nom de Georges Arnaud pour être l’auteur du “Salaire de la Peur“, adapté au cinéma par Henri-Georges Clouzot), principal suspect et coupable idéal aux yeux de tous à l’époque des faits, s’est pourtant vu acquitter lors d’un retentissant procès. L’auteur prend le temps et donne de sa personne pour reprendre chaque élément et nous apporter un tout autre éclairage sur cette affaire tandis qu’il nous (re)dresse le portrait de l’accusé, personnage sulfureux s’il en est, qui connaîtra mille vies et un destin lui-même digne d’un roman. Et c’est passionnant. Absolument passionnant. J’insiste, persiste et signe.
En bref, ce bouquin est un pavé qui se dévore sans voir le temps passer, tout à la fois sérieux et badin, dont la densité n’a d’égale que sa proximité avec le lecteur. Si l’auteur nous donne envie de découvrir ses autres écrits en les évoquant dans ce roman, cette lecture elle-même nous y incite : Et c’est par “La petite femelle” que je vais poursuivre !