Mes petits Bookinautes adorés ? Il m’aura fallu du temps pour me plonger dans le premier roman de cet auteur… Mais quel roman ! “Il est juste que les forts soient frappés” fut un véritable coup de cœur, aussi ai-je souhaité vous le faire (re)découvrir à mon tour avant que je ne rattrape mon retard quant au reste de sa bibliographie ! J’ai donc sollicité le talentueux Thibault Bérard pour une petite interview, requête à laquelle il a très gentiment accédé ! J’en profite pour le remercier chaleureusement et vous laisse à présent découvrir ses réponses : Belle rencontre et bonne lecture !
Quel auteur es-tu ? Pourrais-tu te présenter en quelques mots ?
Je suis un auteur assez prolifique et assez protéiforme puisque je travaille aussi bien en littérature générale qu’en littérature jeunesse. A ce jour, j’ai publié trois romans en littérature générale aux éditions de l’Observatoire, davantage en littérature jeunesse, des premières lectures au roman ado, notamment chez Milan, Gallimard Jeunesse, Albin Michel et Bayard. J’ai d’abord été éditeur en littérature jeunesse chez Sarbacane et je l’étais encore à la parution de mon premier roman en 2020. Je ne pensais pas qu’il y en aurait d’autres, mais le second m’est venu assez rapidement. Quand j’ai publié mon troisième, « Le grand saut », j’étais déjà parti vivre dans le sud avec ma famille pour me consacrer à l’écriture. Car je suis un écrivain bouillonnant : J’ai encore plein d’histoires à raconter, des histoires qui, je pense, couvaient en moi depuis longtemps.
Tu as longtemps côtoyé le monde du livre avant de devenir auteur à ton tour : Quel a été ton déclic ? Qu’est-ce qui t’a poussé à prendre la plume ?
Quand j’étais gamin, je voulais devenir écrivain. A l’adolescence, je passais beaucoup de temps à écrire des poèmes ou des débuts de roman. Une fois devenu étudiant, mon côté pragmatique m’a rattrapé et je me suis dit qu’il serait compliqué de gagner ma vie en tant que romancier donc j’ai pensé devenir scénariste – car j’adore le cinéma – et baby-sitter – pour m’assurer un salaire et parce que j’aime beaucoup les enfants. Tout cela m’a conduit à devenir journaliste, d’abord pour un magazine de cinéma (Synopsis) dans un groupe de presse qui fondait un magazine littéraire (Topo), lequel m’a embauché pour aider à sa création. Lorsque l’aventure s’est arrêtée, je suis devenu éditeur et mon entrée dans la vie professionnelle a complètement occulté mon désir d’écrire. J’ai découvert beaucoup d’auteurs chez Sarbacane, comme Clémentine Beauvais ou Benoît Minville, et j’ai adoré ça, je me suis beaucoup impliqué dans le déploiement de leur univers au point d’en oublier le mien. Jusqu’à ce que mon envie d’écrire se rappelle à moi. Mon premier roman est inspiré d’une histoire vraie et très largement autobiographique, mais je ne voulais pas livrer un témoignage car je savais que c’était une belle histoire, riche d’un point de vue narratif. Le déclic, je l’ai eu dans le métro, cinq ans après le décès de ma compagne, j’ai senti naître un début de chapitre que j’ai écrit sur mon téléphone. La narratrice était l’héroïne décédée, ce qui déplaçait le curseur, mon histoire devenait un roman, une fiction que j’ai remise en scène, dont le ton était plus léger. Je l’ai d’abord titré « Journal d’une fille très très morte », ce qui laissait présager un récit assez comique. Une fois rentré chez moi, j’ai quasiment écrit un chapitre par jour, j’avais un rythme effréné et le ton s’est révélé moins burlesque mais restait décalé. C’est un roman qui a littéralement jailli.
« Il est juste que les forts soient frappés » : Un titre accrocheur pour un roman pas banal : Comment est-il né ?
C’est une phrase que j’ai vraiment eue en tête pendant l’épreuve que j’ai vécue avec ma compagne. D’ailleurs le passage où on voit le titre naître au milieu du livre est tout à fait véridique. Bien qu’exprimé de diverses façons, c’est un concept qu’on retrouve déjà dans la Bible et dans toute l’histoire de l’humanité. A l’époque je me suis demandé d’où ça sortait, j’ai d’abord pensé à Pascal et la citation « Au lieu de faire que ce qui fut juste fut fort, on a fait que ce qui fut fort fut juste » mais, après quelques recherches, je me suis rendu compte qu’elle venait bien de moi. En construisant mon roman, cette phrase s’est retrouvée au milieu car elle représente une sorte de carrefour pour le héros, c’est ce qui va lui donner la force de combattre. C’est aussi un titre que j’aime bien car il fait réagir, c’est une phrase ambiguë, à la fois vraie car on trouve une force dans le combat si on se dit qu’il a du sens, et fausse car il n’est pas du tout juste que qui que ce soit soit frappé, qu’il soit fort ou faible. C’est le même principe pour « Les enfants véritables » puisqu’il n’y a pas d’enfant faux. J’aime bien titiller le lecteur, c’est un truc qui m’a toujours plu en littérature, depuis que j’ai lu « Jacques le fataliste » de Diderot au lycée.
Si l’on affronte la mort et l’on combat la maladie, le roman nous arme de courage et célèbre la vie : D’où t’est venue cette idée ?
Je suis très rétif à l’idée d’un roman réflexif, à propos ou à message. La littérature que j’aime, c’est vraiment le roman d’aventure ou le roman de genre. J’adore Stephen King, Alexandre Dumas, Jack London. Quand j’ai commencé à écrire cette histoire, je ne voulais pas dire quelque chose aux gens mais j’ai exprimé ma nature, ce qui est souvent le cas pour un premier roman. Il faut écrire pour emporter les gens dans un univers, les entraîner dans une histoire et moi, ce que j’écris, cela célèbre la vie. Cela peut paraître paradoxal quand on sait que l’héroïne est morte mais j’aime travailler la pulsion de vie et des choses qui nous unissent. D’où la référence à « La vie est belle » de Capra qui est mon film préféré.
Une histoire presque viscérale dans laquelle on évoque aussi le courage d’une mère, le soutien d’une famille, la puissance de l’amour : En quoi était-ce important à tes yeux ?
Ce roman est une célébration de la vie car on sera tous frappé un jour ou l’autre, de diverses manières et la seule façon de vivre dignement, c’est de combattre. Non pas par les mains, avec violence ni même avec force. Ainsi Théo se croit d’abord invincible avant de découvrir la force la plus puissante dont on dispose, c’est l’amour, sous toutes ses formes, dans toutes ses dimensions. C’est une des idées avec lesquelles j’ai grandi, qui me rappelle « Les visiteurs du soir », un film de Marcel Carné dans lequel deux amoureux sont pétrifiés par le diable mais dont les cœurs battent encore. Cette idée de l’amour qui triomphe de la mort, c’est un souvenir d’enfance auquel je suis revenu en fait.
Pourquoi avoir pris le parti d’aborder des sujets si sombres avec autant de douceur, de poésie et même une certaine légèreté ?
J’ai toujours pensé que la légèreté pouvait être profonde. De la même manière, on n’est pas nécessairement profond dans le pathos. Ainsi, « La vie est belle » de Frank Capra est un film très profond, sous ses allures de pure comédie bienveillante. La légèreté est une force, une sorte de grâce, et l’humour fait partie des armes dont je dispose, une arme pour résister à la peur. L’ennemi n’est pas tant la mort que la souffrance et la peur car la mort est, de toute façon, inéluctable. Quand on a vécu cette épreuve avec ma compagne, nous l’avons donc affrontée avec humour, certaines répliques du roman sont authentiques. Tu as aussi évoqué la poésie du roman : les lecteurs ne le font pas si souvent alors que c’est très important pour moi. C’était vraiment mon truc quand j’étais gamin, j’écrivais des poèmes, je lisais Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, les grands poètes du XIXème siècle qui m’inspiraient et cela reste toujours présent en moi. J’avais envie de communiquer quelque chose, je voulais inviter les gens à partager cette aventure et, selon moi, une langue poétique est plus puissante, raconte plus de choses.
Un roman qui rend aussi hommage à ceux qui restent : Était-ce conscient de ta part ?
Même si ce n’est pas exactement son histoire, même si ce n’est pas ma compagne et qu’il s’agit d’un roman, j”avais le désir de rendre hommage au personnage incarné par Sarah. Mais effectivement j’en ai profité pour parler aussi des amis, de la famille, de tous ces gens qui, par leur amour, m’ont aidé à survivre à l’époque. Y compris Cléo que toutes les lectrices n’apprécient pas. Je le conçois car les gens ont besoin de croire aux contes de fées, de croire que le héros s’arrête de vivre une fois que la princesse meurt. Mais ce n’est pas ça, la vie. D’ailleurs, si cette histoire contient aussi des passages tristes voire violents, je l’ai écrit joyeusement, dans une sorte de transe, en écoutant de la musique, en martelant mon clavier avec entrain et jubilation. Cela se réfère à un épisode douloureux de ma vie mais je n’ai pas souffert à l’écriture. C’est par la suite, après la publication du roman, que cela m’a remué.
Si je te dis que j’y vois là une intrigue extraordinaire parce qu’elle sublime l’ordinaire : Qu’en penses-tu ?
S’emparer des choses simples de la vie est un des principes de la littérature. C’est ce qui nous fonde et c’est ce qui forge nos plus beaux moments. « Pour qu’une chose soit intéressante, il suffit de la regarder longtemps. » disait Flaubert. Tout l’univers qu’on avait réussi à créer avec ma compagne, cela devient quelque chose de beau si on le regarde d’une certaine manière, parce qu’on a réussi à transformer le drame en une forme de comédie. Envers et contre tout. C’est une de mes expressions favorites, avec laquelle j’ai d’ailleurs joué dans mon dernier roman. Cela ne nie pas le fait qu’il y ait des épreuves, des embûches, mais on les accepte, on les incorpore sans les ignorer. Un autre concept auquel je suis sensible, c’est la miséricorde car le mal existe, les gens peuvent te faire des choses atroces mais tu peux malgré tout dépasser cela et les aimer.
Un roman qui a d’ailleurs connu une suite à travers “Les enfants véritables”: Pourrais-tu nous en parler ?
C’est effectivement une suite chronologique, elle se situe juste après mais peut se lire de façon indépendante car ce n’est pas le même héros. Théo devient un personnage très secondaire puisque c’est l’histoire de Cléo. J’en ai eu l’idée pendant les corrections de mon premier roman, avec la scène où Cléo pousse le portail de la maison : Je me suis dit que c’était le début d’un livre et qu’il serait intéressant de raconter l’histoire cette jeune femme qui entre dans la vie d’un homme endeuillé. Cela m’a permis de parler de la reconstruction de la famille et de sa diversité. L’idée était aussi de donner un beau rôle à Cléo, qui est un personnage que j’adore. D’ailleurs j’étais heureux de voir que des lectrices qui l’avaient rejetée dans mon premier roman étaient charmées par elle dans celui-ci. Je suis reparti de ma vie mais je m’en suis davantage écarté que dans mon premier roman, j’ai commencé à entrer dans le domaine de l’invention.
Ton troisième roman – “Le grand saut” – est paru cette année : Que dirais-tu pour le présenter ? Et quels sont tes projets littéraires désormais ?
C’est l’histoire de deux personnages : Léonard, un vieil homme qui, au premier chapitre, meurt tout seul dans sa cuisine tandis qu’on comprend qu’il a fait des choses mauvaises, ce qui l’a poussé à couper les ponts avec les gens qu’il aimait. Il va rouvrir les yeux et assister à des moments cruciaux de sa vie, un peu comme un chemin de croix, ce qui va nous permettre de comprendre ce qu’il a fait. En parallèle, on suit Zoé qui est une petite fille de dix ans, joyeuse et pleine d’imagination mais qui affronte une grande épreuve. Elle vit seule avec son père car sa mère est internée après être rentrée d’un voyage en état de catatonie. Leurs histoires vont se rejoindre et donc « Le grand saut », c’est un grand saut en tous points : Cela correspond à ce moment de ma vie où j’ai choisi de vivre dans le sud et de me consacrer à l’écriture avec un roman de pure invention qui sort du diptyque. Il reste encore la thématique du voyage dans l’au-delà car je n’avais pas fini de l’explorer, et c’est un roman qui flirte un peu avec le fantastique.
Et des projets, j’en ai plein : Plusieurs en littérature jeunesse et un roman adulte qui paraîtra en avril prochain aux éditions La ville brûle : « Les cinq amazones », je dirais que c’est un thriller comico-Tarantino-féministe, qui n’a rien à voir avec mes précédents écrits. C’est l’histoire d’un gang de cinq filles entre 25 et 26 ans, au début de leur vie professionnelle. On alterne entre des scènes de pure comédie et d’autres très flippantes. C’est un roman qui est censé faire rire et frémir !
Encore un immense merci à Thibault Bérard pour cet échange passionnant ! Je vous invite à présent à découvrir “Il est juste que les forts soient frappés” si vous ne l’avez pas encore bouquiné… Quant à moi, je me plonge sans délai dans “Les enfants véritables” puis “Le grand saut” en attendant le prochain !