Mes petits Bookinautes chéris : Parce qu’il n’y a pas meilleures que les Louves du Polar pour vous parler de ce formidable collectif solidaire, j’ai la chance et le plaisir d’avoir pu interviewer deux d’entre elles entre mon BiblioLive et mes tables rondes à Iris Noir Bruxelles : Je vous laisse donc en la talentueuse compagnie d’Anouk Shutterberg (à gauche) et Max Monnehay (à droite) !
Quelle autrice êtes-vous ? Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis conceptrice-rédactrice : je rédige beaucoup pour les entreprises donc c’est déjà mon métier d’écrire ? J’ai démarré l’écriture par « Jeux de peaux » (paru en avril 2021) parce que j’avais ce scénario en tête depuis très longtemps, il fallait que ça sorte et c’est sorti en trois ou quatre mois. Pour « Bestial », paru en mai 2022, j’ai pris un peu plus de temps, un peu plus de maturité peut-être aussi. L’envie d’écrire du polar m’a toujours habitée en fait.
Quelle autrice êtes-vous ? Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
J’ai écrit cinq livres. Trois en littérature blanche, deux en noire. J’écris lentement. Trop lentement. J’utilise environ 900 post-it par roman. Je suis légèrement obsessionnelle et peux passer trois plombes sur une phrase. J’essaie de me soigner, mais je crois que je suis incurable !
Pourquoi avoir basculé du côté obscur de la littérature ?
Je dirais que ce n’est pas forcément du côté obscur mais plutôt du côté extrêmement réaliste, malheureusement, de notre société, quand on voit ce qu’il se passe régulièrement dans les actualités. Moi ce que j’aime, c’est le côté dynamique de l’écriture dans le polar, parce qu’on y met nos tripes et il faut que cela aille vite. Quand j’écris, je conçois toujours mon histoire dans ma tête comme une série, comme si j’écrivais, je décrivais une scène, avec des plans rapprochés, des travellings. J’ai une écriture, dit-on, très cinématographique et je pense qu’il n’y a que le genre noir qui permette d’exprimer ce genre de dynamisme.
Pourquoi avoir basculé du côté obscur de la littérature ?
Grâce à une sorte de révélation, survenue sous la forme d’une autre question : pourquoi n’ai-je jamais écrit de polar, moi qui vénère le genre ? J’ai découvert dans la foulée que le noir me permettait de questionner le monde sans en avoir l’air, et de raconter des histoires où mon goût pour les ténèbres pouvait se déployer sans limites. Non pas que je renie ce que j’ai écrit avant, bien sûr. Mais j’ai enfin l’impression d’avoir trouvé le cadre qui me sied parfaitement.
Comment vos intrigues s’immiscent-elles dans votre imaginaire ? Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Je ne me base jamais sur aucun fait divers réel. En revanche je suis totalement habitée par le cinéma, c’est quelque chose qui me porte depuis très longtemps et, depuis quelques années, les séries aussi. Donc souvent j’ai des images qui me viennent en tête, soit des personnages qui m’ont énormément plu dans un film ou une série, soit des moments d’action pour lesquels je me mets à la place du réalisateur.
Comment vos intrigues s’immiscent-elles dans votre imaginaire ? Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Ce qui m’intéresse fondamentalement dans l’acte d’écrire, c’est d’appréhender l’humain, dans toute l’acception du terme. Mon inspiration, c’est l’observation de l’homme et des processus psychologiques qui l’animent. Pourquoi agit-on de telle ou telle manière ? Qu’est-ce qui, un jour, pousse un homme ou une femme à sacrifier sa vie, ou à tuer, ou à menacer de se faire sauter la tête ? La complexité de la psyché humaine me fascine. Je crée des histoires qui me permettent de l’étudier. De la disséquer. Comme un corps sur une table d’autopsie.
Deux polars à votre actif et autant de titres qui ne laissent pas indifférents : Comment les avez-vous choisis ?
« Jeux de peaux » ne devait pas s’appeler ainsi au départ, il devait s’appeler « Rouge Carmin »… On comprend mieux pourquoi je l’aurais appelé comme ça à la lecture, mais mon éditrice m’a dit que c’était un peu trop lambda, ça ne claquait pas assez. Alors je me suis demandé comment j’avais construit cette histoire et j’ai réalisé que je l’avais construite comme un jeu de pistes. De là je me suis dit « Jeux de pistes – Jeux de peaux ». Avec les tatouages cela me semblait beaucoup plus évident.
Pour « Bestial », le premier titre a été validé. J’avais hésité longtemps parce que, pour moi, la bestialité des hommes est bien pire que l’animal, je dirais que l’animal est plus respectueux de la nature et de ses congénères que nous ne le sommes, mais comme le titre n’avait pas été utilisé en littérature noire, mon éditrice m’a dit que c’était quelque chose de plus immédiat, plus percutant.
Deux polars à votre actif et autant de titres qui ne laissent pas indifférents : Comment les avez-vous choisis ?
« Somb » était le surnom d’un vieux copain, du nom de Berson (Somber en verlan, puis Somb). C’est un mot, presqu’une sonorité, qui me restait en tête, qui me suivait depuis des années. Je savais que je l’utiliserais un jour. Je suis tout sauf superstitieuse mais, avec les titres, j’ai tendance à sentir que, s’ils s’incrustent dans ma cervelle, c’est pour une bonne raison. C’est encore le cas pour le roman que je suis en train d’écrire.
Pour ce qui est de « Je suis le feu », c’est un peu différent. J’ai mis un moment à le trouver, même si le titre parait simple. Je tournais autour du thème sans parvenir à quelque chose de satisfaisant. Je cherchais trop compliqué, sans doute. La simplicité a souvent du bon dans ce domaine.
Deux polars et autant de personnages qui reviennent pour de nouvelles aventures : Était-ce prémédité ? Que diriez-vous pour les présenter ?
Le Commandant Jourdain et la Capitaine Bunevial sont deux personnages récurrents et centraux des deux enquêtes criminelles, dans les deux polars. Quand j’écrivais « Jeux de peaux », j’avais déjà en tête « Bestial », j’avais déjà en tête ce scénario et j’avais envie de faire vivre mes personnages encore quelques temps, peut-être pour un jour changer et les reprendre plus tard, car je sais que les lecteurs s’y sont attachés. Mais non… Ce n’était pas prémédité et en même temps c’était prémédité, parce que je n’en avais pas fini avec eux.
Deux polars et autant de personnages qui reviennent pour de nouvelles aventures : Était-ce prémédité ? Que diriez-vous pour les présenter ?
C’est pendant l’écriture de « Somb » que je me suis dit que ces personnages étaient suffisamment riches pour continuer leur route dans de futurs opus. Victor Caranne est un mec qui aurait le droit de détester la vie mais qui n’y parvient pas tout à fait. C’est, plus pragmatiquement, un psychologue carcéral travaillant à la Maison Centrale pénitentiaire de l’Ile de Ré, prison française trustant la première place en termes de durée de peine. Autant dire que ses occupants ne sont pas des enfants de chœur. Caranne est un homme fondamentalement empathique et lesté d’une culpabilité XXL. Les deux étant indubitablement liés. Le moyen qu’il a trouvé pour contrer ses démons, c’est d’écouter ceux qui n’ont pas su contrer les leurs. De les aider. De les comprendre. Il se comporte finalement, en tant que psy, un peu comme je me comporte vis-à-vis de mes personnages : pas de jugement. De l’empathie. De la compréhension. C’est comme ça qu’on construit des personnages complexes auxquels on peut croire, auxquels on peut s’identifier – qu’ils vous ressemblent ou soient aux antipodes de ce que vous êtes – et qui, parfois, peuvent nous révéler des choses sur nous-mêmes.
Deux polars chacune et un collectif pour les soutenir en librairie : Pourquoi avoir choisi de rejoindre les Louves du Polar ? Pourriez-vous nous en parler ?
J’ai intégré le collectif sur le tard. J’y ai davantage perçu une sororité qu’un clan, alors pourquoi pas se soutenir en tant qu’autrices comme les auteurs le font. Et puis c’était aussi, à titre personnel, un tremplin pour une plus belle visibilité alors si cela pouvait se faire avec des copines qu’on peut aider, soutenir et mettre en avant, pourquoi pas !
Encore une fois nous ne sommes pas là pour dégommer les auteurs masculins, on est là tout simplement pour dire qu’on existe. On est peut-être en train de faire bouger les lignes, la société évolue donc je ne vois pas pourquoi pas les choses n’évolueraient pas en fonction de la société, du nombre d’autrices qui augmente au fur et à mesure même si on est encore minoritaire, ce qui pourrait expliquer qu’on reste moins représentées également.
Deux polars chacune et un collectif pour les soutenir en librairie : Pourquoi avoir choisi de rejoindre les Louves du Polar ? Pourriez-vous nous en parler ?
Pour la sororité, la solidarité. L’entraide. Pour l’aspect absolument pas revendicatif du mouvement. Et parce qu’il y a clairement des choses à faire évoluer, aucune autrice de polar, Louve ou non, ne vous dira l’inverse. Même les auteurs sont d’accord et nous soutiennent en nombre !
Comment expliquez-vous ce manque de visibilité pour les polardeuses dont le talent n’est pourtant plus à démontrer ?
Déjà on est moins nombreuses, c’est factuel. Après je ne sais pas, peut-être qu’on manque de collectif et peut-être que c’est aussi pour ça que les Louves permettent de nous rassembler et d’être plus forte ensemble. Je dirais qu’il y a 1001 réponses sans avoir une bonne réponse. Par exemple Armelle Carbonel est une autrice exceptionnelle qui a une plume que je n’ai pas et qui publie des thrillers et polars totalement fous, qui est pourtant moins bien mise en avant. Est-ce que cela vient d’elle, de son caractère, de sa personnalité ? Car il en est de même pour les auteurs masculins. Donc est-ce qu’il s’agit d’un clivage homme-femme ou d’une question de personnalité ? Je pense que cela tient aussi à la personnalité de l’auteur ou de l’autrice.
Comment expliquez-vous ce manque de visibilité pour les polardeuses dont le talent n’est pourtant plus à démontrer ?
Comme dans un nombre incalculable d’autres domaines où la femme est numériquement inférieure, il y a des habitudes, des comportements à changer. Mais je parle aussi pour moi ! Par réflexe, de manière inconsciente, je me dirige spontanément davantage vers du polar écrit par un homme que par une femme. Le moment est venu, je crois, d’essayer de faire évoluer les choses.
En quoi cette initiative est-elle susceptible de vous aider ? Quelles en sont les principes, les valeurs ? Comment peut-on la soutenir et vous soutenir en tant que lecteurs ? En tant qu’auteurs ?
On va faire une très belle opération avec les libraires du 14 au 20 novembre. Tous nous ont dit qu’ils étaient partants et ont bien compris les valeurs qu’on voulait mettre en avant. Par répercussion cela va toucher les lecteurs et les lectrices qui découvriront des noms qu’ils ne connaissent pas. On a peut-être des choses à faire aussi en médiathèque ou auprès des médias. En fait c’est ça, les Louves, c’est titiller la curiosité du lecteur vers peut-être d’auteurs et autrices qu’ils ne connaissent pas.
En quoi cette initiative est-elle susceptible de vous aider ? Quelles en sont les principes, les valeurs ? Comment peut-on la soutenir et vous soutenir en tant que lecteurs ? En tant qu’auteurs ?
A vrai dire, l’objectif ultime est une dissolution des Louves, puisque ce jour-là signifiera que le combat est fini, que l’autrice de polar publie avec les mêmes chances que ses confrères. Ce que peuvent faire les lecteurs, évidemment et en premier lieu, c’est lire des polars écrits par des autrices. Pas seulement des Louves, mais toutes les autrices ! Après la communication bien sûr, sur les réseaux sociaux et ailleurs. Les auteurs, quant à eux, peuvent faire de même. Ils le font d’ailleurs déjà !
Quels sont vos projets littéraires à venir ?
Je suis sur un troisième roman qui va probablement voir le jour au deuxième semestre 2023. J’ai un synopsis de six pages et c’est la première fois que je travaille comme ça. En général j’ai un début et une fin, après je me laisse embarquer sur des chemins divers et variés mais là, comme je n’ai pas le temps de me mettre à l’écriture, cela m’a rassuré d’avoir un canevas plus carré et déjà préparé, je sais qu’en janvier, quand je vais me mettre à l’écriture, ce sera beaucoup plus limpide et facile. D’autant plus que, dans mon prochain livre, il y a des ressorts de procédure pénale et judiciaire que je veux impeccables donc je travaille énormément en amont là-dessus. Il y a également un volet psychiatrique qui est très important et sur lequel je souhaite absolument être crédible. Je suis sur ce troisième bouquin depuis janvier, je pensais déjà à ce troisième au moment où j’écrivais « Bestial » mais avant de commencer à écrire, je veux avoir une visibilité sur tout ces éléments. S’agissant du titre, si mon éditeur n’en change pas et j’aimerais beaucoup que ce soit celui-ci, ce serait « Le dossier Jeanne Courtois ».
Quels sont vos projets littéraires à venir ?
Je vais encore en faire baver un peu à Victor Caranne ! Un troisième tome devrait sortir courant 2023. Y en aura-t-il un quatrième ? C’est bien possible, je suis salement attachée à cette petite bande de personnages ! Et en parallèle, je travaille sur une adaptation des deux premiers volumes sous la forme d’une série !
Un immense merci à ces deux formidables Louves du Polar pour le temps qu’elles m’ont accordé afin de répondre à mes petites questions indiscrètes… Et n’oubliez pas de foncer en librairie pour la semaine des Louves du 14 au 20 novembre 2022 !